Joséphine Bacon

Uiesh · Quelque part

Uiesh · Quelque part 
Uiesh · Quelque part 

Publication

Montréal, Québec : Mémoire d’encrier (2018)
Uiesh · Quelque part 
ISBN: 978-2-89712-541-7

Description : 126 pages 

Type de document : Livre imprimé 

Niveau : 2e cycle du secondaire, collégial, universitaire

Extrait

« Quelque part 

Dans le Nutshimit 

Je suis chez moi 

Sans adresse réelle 

Ma rue s’appelle chemin de portage 

Demain je remonterai la rivière 

Retrouver mes bâtons à message 

Quelque part 

Dans le Nutshimit 

Quelque part 

La grandeur 

De la Terre. » (pages 120-121) 

Biographie

Joséphine Bacon est une poète, autrice, réalisatrice et parolière innue de la communauté de Pessamit. Née en 1947, cette figure centrale de la poésie et de la transmission de l’innu-aimun a appris des personnes aînées de sa nation et a diffusé leurs récits en œuvrant notamment comme traductrice-interprète. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions, dont un doctorat honoris causa de l’Université Laval ainsi que le Prix International Ostana qui souligne les qualités d’œuvres littéraires d’autrices et d’auteurs qui publient dans leur langue maternelle dans un contexte où celle-ci doit être protégée face à une langue majoritaire. Elle est membre de l’Ordre des Arts et des Lettres du Québec. Uiesh · Quelque part a remporté le prix des Libraires du Québec en 2019. 1 1 Mémoire d’encrier, « Joséphine Bacon », Auteur·trice·s, https://memoiredencrier.com/josephine-bacon (2023). 

Joséphine Bacon_Mémoire d'encrier_Marjorie Guindon Photographe_sept 2023
Photo: Marjorie Guindon

Résumé de l’œuvre

Après Bâtons à message · Tshissinuatshitakana 2 2 Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009. , puis Un thé dans la toundra · Nipishapui nete mushuat 3 3 Joséphine Bacon, Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013. , Uiesh · Quelque part est le troisième recueil de poésie de Joséphine Bacon. Elle y aborde, parfois avec mélancolie, la relation aux lieux que l’on habite et à ceux qui nous manquent. Ode sentie et authentique aux tshishennuat de la nation innue, Uiesh · Quelque part transporte par-delà les gratte-ciel et les rues sans horizon, jusqu’au cœur du Nutshimit, là où, dans la toundra sillonnée de lacs et de rivières, on trouve le cœur des traditions et l’esprit des nomades. Joséphine Bacon nous parle du fait de vieillir, des saisons qui passent, de l’importance de la continuité, de la nostalgie de là d’où l’on vient et de notre capacité à y voyager par les mots et les rêves. Inspirée par Montréal, où elle vit, l’autrice a pour une première fois rédigé d’abord en français certains des poèmes de ce recueil 4 4 Dominic Tardif et Catherine Legault, « Joséphine Bacon rend hommage à la terre de ses ancêtres », Le Devoir, https://www.ledevoir.com/lire/536167/josephine-bacon, (8 septembre 2018)

Situer l’œuvre

En tant que « passeuse » d’histoires, Joséphine Bacon explore la notion de transmission, reliant les traditions innues aux perspectives contemporaines. Sa poésie se caractérise par une hétérogénéité vocale résultant de la rencontre de deux univers culturels distincts. Celle-ci est illustrée par la présentation de chaque poème en français et en innu-aimun. Cette démarche en tant qu’innushkueu (femme innue) offre un accès privilégié à cet Autre encore méconnu, tout en inscrivant l’autrice dans deux territoires dissemblables, le Nutshimit et Montréal.  

Les mots incarnent ainsi également un geste qui condamne la colonisation, montrant qu’une vision bien vivante du monde innu coexiste entièrement avec la modernité, de façon non hiérarchique 5 5 Nicolas Beauclair, « Littérature amérindienne, éthique et politique : la poétique décoloniale de Joséphine Bacon », Fredericton, Studies in Canadian Literature / Études en littérature canadienne, vol. XLIII, n1, 2018, p. 128-145.

Historiquement, l’arrivée des colonisateurs a profondément transformé l’Île de la Tortue et les pratiques de transmission des récits des Innuat (forme plurielle d’Innu), occultant leur parole dans l’espace public jusqu’aux années 1970. C’est à cette époque qu’a émergé un renouveau de la littérature innue 6 6 Marie-Ève Bradette, « Compte rendu de Myriam St-Gelais. Une histoire de la littérature innue, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2022 », Mens, vol.XXIII, n1, automne 2022, p. 117-120. , marqué par une réappropriation culturelle ouverte et la dénonciation de politiques coloniales d’assimilation, notamment en réaction au Livre blanc de 1969 7 7 Naithan Lagace et Niigaanwewidam James Sinclair, « Livre blanc de 1969 », L’Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/livre-blanc-de-1969, (10 juin 2020). Le Livre blanc de 1969, promu par Jean Chrétien et Pierre Elliott Trudeau, visait à assimiler les peuples autochtones du Canada en abolissant notamment la Loi sur les Indiens et les traités, suscitant de vives critiques au sein de ces nations. . L’œuvre phare Je suis une maudite sauvagesse Eukuan nin matshi-manitu innushkueu 8 8 An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse / Eukuan nin matshi-manitu innushkueu, Montréal, Mémoire d’encrier, 2019 (1976). d’An Antane Kapesh en constitue un exemple incontournable. Depuis, d’autres autrices ont enrichi ce corpus littéraire. Par exemple, le premier roman de Naomi Fontaine, Kuessipan 9 9 Naomi Fontaine, Kuessipan, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013. , offre une perspective renouvelée sur les Innuat dans un style épistolaire qui cerne bien les vides, les silences 10 10 Ibid. . La littérature innue, marquée par une forte présence féminine, s’inscrit elle-même dans un mouvement artistique qui dialogue avec les ancêtres, selon l’artiste pluridisciplinaire Émilie Monnet dont l’identité anishnabe puise à la source des mots et des actions de femmes l’ayant précédée 11 11 Josianne Dulong-Savignac, « La parole résiliente des femmes autochtones », Jeu, vol. IV, no 165, décembre 2017, p. 31-35.

Ressources

Importance des personnes aînées  

Dans son œuvre (pages 12-13), Joséphine Bacon met en lumière le rôle quasi sacré de la vieillesse dans la transmission de la culture innue (innu-aitun). Elle aborde la place centrale des tshishennuat et la sauvegarde de leur parole, exprimant une reconnaissance profonde pour ces témoins d’un territoire qu’elle craint de voir détruit (pages 64-65). Chez les Premiers Peuples, la vieillesse est considérée comme une étape méritant d’être reconnue et respectée 12 12 Mary Coon et Jessica Vollant, « Roue de la médecine – Pakatakan », INNUWebTV, https://www.youtube.com/watch?v=1l_MCJhNfso&t=303s&ab_channel=INNUWEBTV, (9 décembre 2019).   puisqu’essentielle à la perpétuation des savoirs et des identités. Les références à l’hiver parsèment le recueil, évoquant cette porte du Nord qui mène à la dernière saison, celle qui incite parfois à un retour sur sa propre existence 13 13 Larry Bremner et Nicole Bowman, « Nos racines et nos liens : célébrons l’évaluation autochtone », La Revue canadienne d’évaluation de programme, vol. XXXVI, no 2, automne 2021, p. 113-116. . En célébrant la connaissance et la relation des tshishennuat avec leur territoire, l’autrice appelle à s’imprégner de leurs histoires pour mieux se préparer à sa propre vieillesse (page 14).  

Questions 

Selon vous, dans le poème des pages 92-93, que souhaite exprimer l’autrice lorsqu’elle affirme qu’elle a « …la nostalgie des rêves que je n’ai pas rêvés » ? 

Réfléchissez à votre propre rapport à la vieillesse. En quoi se rapproche-t-il ou diffère-t-il de celui de l’autrice ?  

Activité proposée 

Recensez, à travers le recueil, cinq mots qui font, pour vous, référence au vieil âge. Utilisez-les ensuite pour composer un court poème sur le thème de l’importance des personnes aînées dans votre culture. Finalement, décrivez les valeurs sur lesquelles se base votre propre perception de la vieillesse. 

Territoires que l’on habite et où l’on se trouve  

Chez Joséphine Bacon, les tshishennuat et le territoire sont intimement liés. Dans Uiesh · Quelque part, le sentiment de déracinement résonne souvent fortement. On explore la complexité de l’expérience migratoire et la manière dont elle peut engendrer un réel sentiment de nostalgie ou d’ennui pour ce lieu d’où l’on vient (pages 110-111). 

À travers l’expression du lien indéfectible entre l’individu et son lieu d’origine, l’autrice évoque une connexion profonde avec la Terre et les animaux, qui forge ses identités profondes. Elle décrit ainsi avec douceur et tendresse les êtres qui peuplent le Nutshimit en revisitant également la manière dont ces souvenirs peuvent être à la fois réconfortants et douloureux, parce qu’ils rappellent ce qui a été laissé derrière soi. La migration, telle que présentée dans certains poèmes, peut faire craindre la rupture de ce lien même si l’on sent également l’attachement de l’autrice pour cet autre territoire habité, Montréal. Néanmoins, malgré la distance d’avec son lieu d’origine, l’autrice arrive à maintenir le lien, trouvant des moyens pour s’y transporter à nouveau en pensées (pages 108-109).  

Questions 

Dans les poèmes du recueil, l’autrice exprime à plusieurs reprises son lien intime avec son lieu d’origine. Quels mots récurrents montrent ce lien au territoire ? 

Dans certains poèmes du recueil abordant le territoire (exemple des pages 74-75), l’autrice s’adresse parfois à quelqu’un ou à quelque chose dont l’identité n’est pas révélée. Selon vous, comment cela enrichit-il le texte ? 

Activité proposée 

En vous inspirant de la place qu’occupe le territoire dans les poèmes du recueil, rédigez un texte de 250 mots dans lequel vous identifiez les territoires où vous vous sentez le mieux. Nommez et décrivez les sentiments que ces lieux génèrent en vous et les éléments ou événements auxquels ils se rattachent. 

Esthétique de l’œuvre

Utilisation de l’innu-aimun et du français  

La présence de l’innu-aimun constitue un élément central de l’univers de Joséphine Bacon. Même si cette langue s’inscrit dans une tradition orale millénaire, on la retrouve ici dans sa forme écrite, côte à côte avec le français. D’ailleurs, pour Uiesh · Quelque part, contrairement aux deux œuvres précédentes, le poème ayant initié la création du recueil a d’abord été écrit en français 14 14 Ibid., p. 2. (pages 66-67). Autant la langue maternelle de l’autrice sert de vecteur à l’expression d’émotions et de souvenirs, autant le français occupe une place primordiale dans l’ouvrage, parce qu’il permet de partager les récits du Nutshimit avec un plus large public, le plus souvent non initié à l’innu-aimun. À travers la lecture de textes généralement courts, le contact avec cette langue constitue un premier pas vers la reconnaissance et la valorisation de la nation innue. 15 15 Cécile Brochard, « Retours aux langues autochtones : perspectives et pratiques comparatistes engagées par les littératures en “langues rares” (Afrique-Amérique-Australie) », Fabula / Les colloques, avril 2020. Écrire et lire l’innu-aimun, c’est nourrir des racines profondément ancrées dans le territoire de l’Île de la Tortue. Dans ce contexte, la poésie de l’autrice joue un rôle clé dans le processus de déconstruction de l’héritage colonial continuant de marquer la relation entre Premiers Peuples et allochtones 16 16 Natasha Kanapé Fontaine, « Dans le ventre des peuples. » Relations, no 790, mai-juin 2017, p. 29–30. .  

Nature, spiritualité et oralité 

La connexion profonde des Innuat avec la nature et la spiritualité, portée par une transmission orale de savoirs millénaires, est maintes fois mentionnée et décrite avec précision. Les trois éléments, présentés comme un tout, caractérisent les visions du monde des Premiers Peuples, dont la nation innue. Ainsi, si Joséphine Bacon s’émerveille de la grandeur du Nutshimit, elle fait également référence aux croyances des personnes aînées, explorant la relation entre humain et nature, entre sacré et profane (pages 50-51). 

Ressources

Pour aller plus loin dans la rencontre avec l’autrice : 

O’Bomsawin, Kim, Je m’appelle humain, Montréal, Maison 4:3 / Les Alchimistes / Women Make Movies, 2020. 

Ce film suit Joséphine Bacon à travers la toundra et les rues de Montréal avec sensibilité et humilité. (Prix Gémeaux 2021 de la meilleure émission ou série documentaire). 

Pour explorer la langue des Innuat : 

Université Carleton et al., « Innu-aimun. Ressources de langue », https://www.innu-aimun.ca/ (2 juin 2022). 

Ce site web offre une variété de ressources permettant de s’initier à l’innu-aimun. 

Pour se repérer sur les territoires des nations autochtones : 

Native Land Digital, « Carte interactive », https://native-land.ca/?lang=fr (2023). 

Fruit du travail d’un organisme dirigé par des personnes des Premiers Peuples, cette carte interactive permet de se situer plus justement sur les territoires autochtones sur l’ensemble de la planète. 

Pour découvrir une autre poète innue : 

Mestokosho, Rita, Atiku utei. Le cœur du caribou, Montréal, Mémoire d’encrier, 2022. 

La plume de cette poète innue convie à l’exploration du lien profond qui existe entre le caribou, la liberté et la guérison. Ce recueil a reçu le Prix littéraire du Gouverneur général en 2023. 

Pour en apprendre davantage sur la culture innue : 

Mailhot, José, Shushei au pays des Innus, Montréal, Mémoire d’encrier, 2021.  

Dans ce livre-testament, l’anthropologue, amie et collaboratrice de Joséphine Bacon, livre un récit authentique sur la langue, les légendes et la culture des Innuat. 

Glossaire

Nutshimit

Terme fréquemment utilisé dans l’œuvre de de Joséphine Bacon, il évoque lexpérience nomade de la vie dans la toundra et englobe à la fois un espace géographique et une perspective sur un monde: sans limites, sans murs, sans adresse, sans frontières. Dans le recueil, l’autrice y a recours pour nommer la terre des Innuat, tant dans les poèmes en innu-aimun qu’en français. 17 17 Ibid., p. 6.

Autres définitions

Tshishennuat

Ce sont les aînées et les aînés innus qui portent une connaissance complexe et spécialisée de lenvironnement, transmise oralement à travers les siècles. Dans le recueil, l’appellation est utilisée dans certains poèmes en innu-aimun pour désigner les personnes âgées. 18 18 Trudy Sable, The Ashkui Project: Linking western science and Innu environmental knowledge in creating a sustainable environment, Halifax, Saint-Mary’s University, 2005

Autres définitions

Île de la Tortue

Plusieurs Premières Nations utilisent ce terme pour nommer l’Amérique du Nord 19 19 Amanda Robinson et Michelle Filice, « Île de la Tortue », L’Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/ile-de-la-tortue, (6 novembre 2018) . Selon divers mythes, la tortue incarnerait le respect de la Terre. Choisir les toponymes utilisés par les Premiers Peuples constitue une façon de lutter contre le colonialisme. Dans le guide, cette désignation réfère au continent nord-américain. 

Autres définitions

Premiers Peuples

Autre terme approprié pour désigner les peuples autochtones, souvent employé dans l’optique d’élargir les enjeux en présence à une autochtonie 20 20 Géoconfluences, « Autochtonie », Glossaire, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/autochtonie#:~:text=L’autochtonie%20d%C3%A9signe%2C%20en%20g%C3%A9ographie,colonisation%20par%20une%20puissance%20ext%C3%A9rieure, (2022).  mondiale. Dans le guide, il est employé comme alternative au mot « Autochtone ». 21 21 Mikana, « Petit guide de terminologies en contexte autochtone »,https://www.mikana.ca/wp-content/uploads/2022/06/Petit-guide-de-terminologies-en-contexte-autochtone-FR-June-2022.pdf, (2022).

Autres définitions

Allochtone

Terme pouvant être appliqué aux personnes dont les ancêtres ne sont pas originaires de la région où elles vivent. Dans certains contextes, l’utilisation du mot doit être nuancée afin que des personnes autochtones dautres régions (ex. Amérique latine, Maghreb, Asie) ne s’y trouvent pas automatiquement associées. Dans le guide, il renvoie aux personnes non-Autochtones. 22 22 Ibid.

Autres définitions

Crédits

L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Fondation Lucie et André Chagnon. 

  • Conseillère-experte en littérature : Lorrie Jean-Louis 
  • Consultante pédagogique : Marie Brodeur Gélinas 
  • Coordination : Selma Guessous 
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