An Antane Kapesh

Eukuan nin matshi-manitu innushkueu Je suis une maudite sauvagesse

Eukuan nin matshi-manitu innushkueuJe suis une maudite sauvagesse
Eukuan nin matshi-manitu innushkueuJe suis une maudite sauvagesse

Publication

Montréal, Québec, Mémoire d'encrier, 2019

Biographie de l’auteure

An Antane Kapesh est une des premières auteure innues. Elle est née en 1923 sur le territoire de ses ancêtres. Elle a vécu ses vingt premières années selon le mode de vie traditionnel nomade. En 1953, la récente création de la réserve de Mani-Utenam mène au déplacement et au sédentarisme forcé de sa famille, qui se trouve déracinée de son territoire.

An Antane Kapesh a consacré sa vie à la protection du territoire, de sa culture et de sa langue. Son pre- mier livre, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite Sauvagesse a été publié en 1976 aux éditions Leméac. Elle y dénonce les effets de la colonisation et affirme sa fierté d’appartenir à la culture innue.

Ce livre fut publié une première fois en 1976. Épuisé et jamais réimprimé, c’est sous l’impulsion de l’écrivaine innue Naomi Fontaine que la parole d’An Antane Kapesh a connu un deuxième souffle, elle qui sent que derrière ce livre qui n’existait plus se cachait « le refus d’entendre ». Publié aux éditions Mémoire d’encrier en 2019, ce livre symbolise « le cadeau précieux qu’on offre à l’Histoire ».

An Antane Kapesh

An Antane Kapesh, née en 1926, première auteure innue, mère de huit enfants, a vécu en nomade jusqu’en 1953 lorsque le gouvernement déracine sa famille de ses terres. Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse est son grand livre où elle dénonce la colonisation des Premières Nations.

Photo: Courtoisie famille André

Extrait

« Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a demandé de permission à personne, il n’a pas demandé aux Indiens s’ils étaient d’accord. Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a fait signer aux Indiens aucun document disant qu’ils acceptaient qu’il exploite et qu’il détruise tout notre territoire afin que lui seul y gagne sa vie indéfiniment. Quand le Blanc a voulu que les Indiens vivent comme des Blancs, il ne leur a pas demandé leur avis et il ne leur a rien fait signer disant qu’ils acceptaient de renoncer à leur culture pour le reste de leurs jours. » P.15

«Je suis une maudite Sauvagesse. Je suis très fière quand, aujourd’hui, je m’entends traiter de Sauvagesse. Quand j’entends le Blanc prononcer ce mot, je comprends qu’il me redit sans cesse que je suis une vraie Indienne et que c’est moi la première à avoir vécu dans la forêt. Or, toute chose qui vit dans la forêt correspond à la vie la meilleure. Puisse le Blanc me toujours traiter de Sauvagesse. » P.203

Résumé de l’œuvre

An Antane Kapesh raconte l’histoire de la colonisation à partir de son vécu. En neuf chapitres, elle dissèque méticuleusement les violences subies depuis l’arrivée des colons français. Dans les années 1970, la nationalisation du territoire québécois accélère la répression subie par les Innus. C’est durant cette même période qu’est créée la réserve de Maliotenam près de Sept-Îles là où résidera Kapesh.

La colonisation ne se fait jamais en une étape. C’est au 16e siècle que la France envoie des marchands pour faire l’exploration de la côte est de l’Amérique afin d’évaluer ses capacités commerciales. On passe d’une colonie/comptoir à une colonie de peuplement en un siècle, soit, le 16e siècle. Ce qui est important à comprendre c’est que le territoire est habité et que toutes sortes d’astuce malhonnêtes et mortifères sont mises en place pour prendre posses- sion du territoire. Les réserves en sont un témoignage 1 1 À ce sujet, Qu’as-tu fait de mon pays de Kapesh est plus explicite. .

Il est difficile, voire impossible d’utiliser le terme de «nationalisation» parce que le Québec fait partie du Canada qui appartient à la couronne britannique. Le Canada est officiellement une colonie anglaise. Suite à la Guerre de 7 ans, la France cède la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne, soit en 1763. C’est en 1867 que la Confédération canadienne est créée et où le Québec est créé comme province avec les frontières qu’on lui connaît aujourd’hui.

L’autrice raconte le racisme, les préjugés et la misère engendrée par le mode de vie imposé et contrôlé par le Blanc. Le Blanc est un personnage qui incarne un système de violence. Elle perçoit avec limpidité le sentiment de supériorité du colonisateur qui justifie à ses yeux l’utilisation de différentes méthodes comme l’éducation, les tribunaux, les médias et la police pour assimiler les Autochtones et les annihiler. Les arguments, le témoignage et les histoires se mêlent pour montrer la manière dont leBlanc vole et nuit délibérément aux Innus pour s’enrichir. L’inquiétude qu’elle ressent transparaît à travers le livre. Elle témoigne de la disparition de sa culture, de sa langue et de son mode de vie.

Ce livre est bien plus qu’un témoignage biographique. Il est politique. Une femme innue, une dominée, prend la parole, s’énonce.

Situer l’œuvre

C’est dans ce contexte violent que la parole de l’autrice s’inscrit 2 2 J. Hyndman (animateur), « An Antane Kapesh : Je suis une maudite Sauvagesse », épisode d’un balado audio, 13 mai 2020. Dans La vie secrète des libraires, La Fabrique culturelle, https://www.lafabriqueculturelle.tv/balados/19/la-vie-secrete-des-libraires/episodes/121/an-antane-kapesh-je-suis-une-maudite-sauvagesse. . Elle vit la transition entre un mode de vie traditionnel et un mode de vie imposé par le colonisateur. Elle s’ancre dans cette expérience double afin de rectifier la version « officielle » de l’histoire, écrite par le colonisateur.

An Antane Kapesh s’approprie l’écriture, une méthode de transmission qui est étrangère à sa culture, afin de se faire entendre. Les acteurs de son récit sont divisés en deux catégories. Le « il » désigne le colonisateur, le Blanc, nouvellement arrivé, qui tente d’imposer sa culture. Le «nous» fait référence aux Innus, qui vivent sur le territoire depuis des milliers d’années selon un mode de vie qui leur est propre.

Thématiques – enjeux

Le territoire

« Quant aux arpenteurs blancs, il est inutile de rappeler à combien d’années remonte leur venue dans le Nord, plusieurs Indiens les ont vus à leur arrivée, dit mon père. Quand eux sont arrivés ici, l’Indien avait depuis très longtemps fini d’arpenter avec ses jambes tout son territoire et il avait depuis très longtemps, lui le premier, dit comment s’appelleraient, à la grandeur de son territoire, les rivières, les lacs, les montagnes et les ruisseaux. C’est qu’autrefois, l’Indien n’avait pas de terrain de chasse proprement dit, chaque individu allait partout à la grandeur du territoire indien pour chercher de quoi vivre, dit mon père. » (p. 53)

Le territoire est central chez les Innus. Il constitue le cœur de leur façon d’habiter le monde et de le vivre. Chez les Innus, c’est la base de leur éco- système.

Organisation politique

Si vous deviez choisir un des symboles suivants pour représenter l’organisation sociale autochtone, lequel vous semble le plus adéquat? Pourquoi? Trouvez des extraits dans le livre pour soutenir votre réponse.

TriangleCircle

Afin que les élèves saisissent la différence entre une organisation circulaire et une organisation hiérarchique, posez les questions suivantes (peut aussi être envisagé sous forme de débat) :

  • Si la classe avait le pouvoir de choisir une thématique à aborder en classe, comment ferait-elle pour arriver à un consensus ?
  • Quels avantages et désavantages présente chaque organisation ?
  • Comment comprenez-vous les formules d’An Antane Kapesh « à moi seule, en tant qu’Indienne, j’ai la majorité à cent pour cent » (p. 173) et « chaque Indien était son propre gouvernement […] chaque Indien avait à lui seul la majorité » (p. 193) ? 

Esthétique de l’œuvre

La voix persuasive d’An Antane Kapesh reflète la fierté et l’amour qu’elle éprouve pour les siens. Après avoir vécu dans les deux mondes, elle s’exprime avec certitude : c’est l’ancien mode de vie innu qui lui convient le mieux. 3 3 B. Petitpas (animatrice), « L’influence du livre Je suis une maudite Sauvagesse d’An Antane Kapesh », épisode d’un balado audio, 14 août 2019. Dans Bonjour la Côte.  Elle embrasse les étiquettes péjoratives qui lui sont imposées pour renforcer son identité. Elle rejette ouvertement l’infériorisation qu’on tente de lui inculquer avec sarcasme et ironie. Sa parole est porteuse d’une résistance claire et de courage qui permet d’éveiller les consciences.  4 4 M.-A. Gill, « Eukuan nin matshi-manitu innushkueu. Je suis une maudite Sauvagesse d’An Antane Kapesh », Nuit blanche, magazine littéraire, no 156, 2019, p. 10-11.

Tipatshimum : Rhétorique/ Histoire/Transmission

Dans la tradition occidentale, l’essai sert généralement à articuler des arguments, à rappeler des théories, à construire une analyse dans le but de répondre à une question. La catégorisation, la chronologie précise, les terminologies et les genres distincts servent à imposer un ordre rationnel à des idées objectives. L’organicité et la spontanéité sont éliminées afin de produire un résultat clair. La signification est subordonnée à la logique et à la précision. 5 5 R.C. Jackson et D.W. DeLaune, « Decolonizing Community Writing With Community Listening: Story, Transrhetorical Resistance, and Indigenous Cultural Literacy Activism », Community Literacy Journal, vol. 13, no 1, 2018, p. 37-54. doi:10.1353/clj.2018.0020.

Au niveau linguistique, on pourrait dire que les traditions autochtones s’appuient davantage sur le discours indirect, comme le rapporte la traductrice José Mailhot concernant l’écriture de Je suis une maudite Sauvagesse :

« Je devais faire grand usage des guillemets, car elle recourait abondamment au discours rapporté. C’était typique de son style que de ne jamais prendre à son compte les paroles de quelqu’un, de les rapporter sous forme de citation. Il s’agissait d’ailleurs d’une caractéristique frappante de la littérature orale innue, qu’An transposait spontanément dans son écriture. 6 6 José Mailhot, Shushei au pays des Innus, Montréal, Mémoire d’encrier, 2021, p. 24. »

Plusieurs passages dans Je suis une maudite Sauvagesse relèvent du tipatshimum.

On peut parler d’anaphore rhétorique: c’est-à-dire, une figure de style qui consiste à reprendre le même mot ou le même syntagme en début de phrase pour renforcer l’idée véhiculée, pour exprimer un sentiment d’urgence, pour accuser, pour créer un effet de litanie, d’incantation, pour insister sur un leitmotiv. Dans le chapitre un, le syntagme suivant « quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire» est repris plus d’une dizaine de fois sous des variantes. Le fait de marteler cette information est une manière de ne pas oublier, d’imprégner et d’imprimer dans les esprits que le Blanc a exploité et détruit le territoire et que cela ne sera jamais assez répété.

La répétition est un élément central dans la rhétorique autochtone. Dans la tradition orale, la répétition a plusieurs rôles. Tout d’abord, elle permet de retenir l’attention de l’auditeur, comme une sorte de litanie où les mots répétés deviennent des points de repère. Aussi, le fait de répéter est un moyen mnémotechnique pour l’auditeur qui ne peut retenir toute l’information lorsqu’elle est délivrée à l’oral. La répétition transforme la progression du discours qui, au lieu d’être linéaire, retourne vers le commencement pour greffer petit à petit des informations supplémentaires.

Glossaire

Coloniser

Imposer un schème de pensée où tout doit avoir un « cadre » prescrit d’avance et surtout, de l’extérieur. Au Québec, la colonisation sert un objectif de peuplement. En effet, lorsque les colons sont arrivés d’Europe en 1608, ils cherchaient à s’établir de manière permanente. Pour habiter un territoire, il faut d’abord avoir accès au sol et aux ressources. Les colons ont donc imposé de nouveaux systèmes politiques et économiques qui leur permettaient de contrôler le territoire. La présence des Autochtones a toujours fait directement obstacle à ce projet. C’est pourquoi les colons ont eu recours à l’extermination de la population, l’assimilation et le déplacement. 7 7 C. Delisle L’Heureux, Les voix politiques des femmes innues face à l’exploitation minière, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2017.

Autres définitions

Réserve

Au commencement de la colonisation de l’espace appelé aujourd’hui Québec par la France, soit entre le début du 17e siècle jusqu’à la prise de l’espace sous la gouverne britanniques, soit en 1763, le succès des activités commerciales comme la traite des fourrures sous l’égide d’intendants coloniaux et de compagnies privées, telles que la Baie d’Hudson, dépendait du contrôle qu’ils exerçaient sur le territoire. Les Innus qui occupaient le territoire selon un mode de vie nomade faisaient obstacle à ce développement. C’est dans ce contexte que la création du système de réserve est intervenue. Les réserves garantissaient la sédentarisation progressive des Innus8. L’emplacement des communautés était choisi en fonction des territoires que le colonisateur cherchait à exploiter. On dégageait des territoires riches en ressources et on installait les Innus sur des terres inutiles pour ce type de commerce. Ces lieux si bien connus sous le nom de réserves ne sont pas indiqués ainsi sur les panneaux de signalisation routiers. C’est une « parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté pour l’usage et au profit d’une bande indienne, reconnue comme telle selon cette même loi ». 8 8 Il s’agit ici de la Loi sur les indiens créée par le gouvernement britannique en 1876. La réserve est donc avant tout un statut légal. Les Autochtones vivant dans les réserves font face à des problèmes, car ils sont limités quant à leur pouvoir politique et économique. Le système éducationnel est défavorable, car il ne prend pas en compte les principes d’apprentissage des peuples autochtones : la création de réserves constituait surtout un moyen de concentrer les Autochtones dans un lieu restreint, de les évangéliser, « d’éduquer » leurs enfants en les expédiant dans des pensionnats et de tenter de les assimiler au mode de vie des Européens en les assimilant et en leur apprenant les rudiments de l’agriculture. Le but ultime était de transformer ces réserves en municipalités. Les infrastructures limitent la mobilité géographique et ostracisent ainsi ces communautés du reste du territoire. Les problèmes de santé sont plus fréquents: maladies du coeur, diabète, obésité, cancer, alcoolisme, toxicomanie car on change radicalement leur alimentation et mode de vie.

Autres définitions

Communauté

La communauté désigne les différents groupes d’Autochtones. On compte 55 communautés au Québec vivant dans des réserves, mais aujourd’hui beaucoup d’Autochtones vivent en dehors de ces réserves. 9 9 Voici une carte montrant les 55 communautés en détail.

Autres définitions

Ressources

Lectures supplémentaires

  • An Antane Kapesh, Qu’as-tu fait de mon pays? Tanite nan etutamin nitassi?, Mémoire d’encrier, Montréal, 2020.
  • Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana, Mémoire d’encrier, Montréal, 2009.
  • Michel Jean, Kukum, Libre expression, Montréal, 2019.

Matériel audio-visuel

Crédits

L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles, et de la Fondation Lucie et André Chagnon.

  • Conseillère-experte en littérature : Lorrie Jean-Louis 
  • Coordination : Selma Guessous 
  • Recherche et rédaction : Emné Nasereddine 
  • Révision linguistique : Monique Moisan 
  • Conception graphique et mise en page : Alejandra Núñez 

Espace de la diversité 

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