Publication
Extrait
« Quelque part
Dans le Nutshimit
Je suis chez moi
Sans adresse réelle
Ma rue s’appelle chemin de portage
Demain je remonterai la rivière
Retrouver mes bâtons à message
Quelque part
Dans le Nutshimit
Quelque part
La grandeur
De la Terre. » (pages 120-121)
Biographie
Joséphine Bacon est une poète, autrice, réalisatrice et parolière innue de la communauté de Pessamit. Née en 1947, cette figure centrale de la poésie et de la transmission de l’innu-aimun a appris des personnes aînées de sa nation et a diffusé leurs récits en œuvrant notamment comme traductrice-interprète. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions, dont un doctorat honoris causa de l’Université Laval ainsi que le Prix International Ostana qui souligne les qualités d’œuvres littéraires d’autrices et d’auteurs qui publient dans leur langue maternelle dans un contexte où celle-ci doit être protégée face à une langue majoritaire. Elle est membre de l’Ordre des Arts et des Lettres du Québec. Uiesh · Quelque part a remporté le prix des Libraires du Québec en 2019. 1 1 Mémoire d’encrier, « Joséphine Bacon », Auteur·trice·s, https://memoiredencrier.com/josephine-bacon (2023).
Résumé de l’œuvre
Après Bâtons à message · Tshissinuatshitakana 2 2 Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009. , puis Un thé dans la toundra · Nipishapui nete mushuat 3 3 Joséphine Bacon, Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013. , Uiesh · Quelque part est le troisième recueil de poésie de Joséphine Bacon. Elle y aborde, parfois avec mélancolie, la relation aux lieux que l’on habite et à ceux qui nous manquent. Ode sentie et authentique aux tshishennuat de la nation innue, Uiesh · Quelque part transporte par-delà les gratte-ciel et les rues sans horizon, jusqu’au cœur du Nutshimit, là où, dans la toundra sillonnée de lacs et de rivières, on trouve le cœur des traditions et l’esprit des nomades. Joséphine Bacon nous parle du fait de vieillir, des saisons qui passent, de l’importance de la continuité, de la nostalgie de là d’où l’on vient et de notre capacité à y voyager par les mots et les rêves. Inspirée par Montréal, où elle vit, l’autrice a pour une première fois rédigé d’abord en français certains des poèmes de ce recueil 4 4 Dominic Tardif et Catherine Legault, « Joséphine Bacon rend hommage à la terre de ses ancêtres », Le Devoir, https://www.ledevoir.com/lire/536167/josephine-bacon, (8 septembre 2018) .
Situer l’œuvre
En tant que « passeuse » d’histoires, Joséphine Bacon explore la notion de transmission, reliant les traditions innues aux perspectives contemporaines. Sa poésie se caractérise par une hétérogénéité vocale résultant de la rencontre de deux univers culturels distincts. Celle-ci est illustrée par la présentation de chaque poème en français et en innu-aimun. Cette démarche en tant qu’innushkueu (femme innue) offre un accès privilégié à cet Autre encore méconnu, tout en inscrivant l’autrice dans deux territoires dissemblables, le Nutshimit et Montréal.
Les mots incarnent ainsi également un geste qui condamne la colonisation, montrant qu’une vision bien vivante du monde innu coexiste entièrement avec la modernité, de façon non hiérarchique 5 5 Nicolas Beauclair, « Littérature amérindienne, éthique et politique : la poétique décoloniale de Joséphine Bacon », Fredericton, Studies in Canadian Literature / Études en littérature canadienne, vol. XLIII, no 1, 2018, p. 128-145. .
Historiquement, l’arrivée des colonisateurs a profondément transformé l’Île de la Tortue et les pratiques de transmission des récits des Innuat (forme plurielle d’Innu), occultant leur parole dans l’espace public jusqu’aux années 1970. C’est à cette époque qu’a émergé un renouveau de la littérature innue 6 6 Marie-Ève Bradette, « Compte rendu de Myriam St-Gelais. Une histoire de la littérature innue, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2022 », Mens, vol.XXIII, no 1, automne 2022, p. 117-120. , marqué par une réappropriation culturelle ouverte et la dénonciation de politiques coloniales d’assimilation, notamment en réaction au Livre blanc de 1969 7 7 Naithan Lagace et Niigaanwewidam James Sinclair, « Livre blanc de 1969 », L’Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/livre-blanc-de-1969, (10 juin 2020). Le Livre blanc de 1969, promu par Jean Chrétien et Pierre Elliott Trudeau, visait à assimiler les peuples autochtones du Canada en abolissant notamment la Loi sur les Indiens et les traités, suscitant de vives critiques au sein de ces nations. . L’œuvre phare Je suis une maudite sauvagesse Eukuan nin matshi-manitu innushkueu 8 8 An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse / Eukuan nin matshi-manitu innushkueu, Montréal, Mémoire d’encrier, 2019 (1976). d’An Antane Kapesh en constitue un exemple incontournable. Depuis, d’autres autrices ont enrichi ce corpus littéraire. Par exemple, le premier roman de Naomi Fontaine, Kuessipan 9 9 Naomi Fontaine, Kuessipan, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013. , offre une perspective renouvelée sur les Innuat dans un style épistolaire qui cerne bien les vides, les silences 10 10 Ibid. . La littérature innue, marquée par une forte présence féminine, s’inscrit elle-même dans un mouvement artistique qui dialogue avec les ancêtres, selon l’artiste pluridisciplinaire Émilie Monnet dont l’identité anishnabe puise à la source des mots et des actions de femmes l’ayant précédée 11 11 Josianne Dulong-Savignac, « La parole résiliente des femmes autochtones », Jeu, vol. IV, no 165, décembre 2017, p. 31-35. .
Thématiques – enjeux
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Esthétique de l’œuvre
Utilisation de l’innu-aimun et du français
La présence de l’innu-aimun constitue un élément central de l’univers de Joséphine Bacon. Même si cette langue s’inscrit dans une tradition orale millénaire, on la retrouve ici dans sa forme écrite, côte à côte avec le français. D’ailleurs, pour Uiesh · Quelque part, contrairement aux deux œuvres précédentes, le poème ayant initié la création du recueil a d’abord été écrit en français 12 12 Ibid., p. 2. (pages 66-67). Autant la langue maternelle de l’autrice sert de vecteur à l’expression d’émotions et de souvenirs, autant le français occupe une place primordiale dans l’ouvrage, parce qu’il permet de partager les récits du Nutshimit avec un plus large public, le plus souvent non initié à l’innu-aimun. À travers la lecture de textes généralement courts, le contact avec cette langue constitue un premier pas vers la reconnaissance et la valorisation de la nation innue. 13 13 Cécile Brochard, « Retours aux langues autochtones : perspectives et pratiques comparatistes engagées par les littératures en “langues rares” (Afrique-Amérique-Australie) », Fabula / Les colloques, avril 2020. Écrire et lire l’innu-aimun, c’est nourrir des racines profondément ancrées dans le territoire de l’Île de la Tortue. Dans ce contexte, la poésie de l’autrice joue un rôle clé dans le processus de déconstruction de l’héritage colonial continuant de marquer la relation entre Premiers Peuples et allochtones 14 14 Natasha Kanapé Fontaine, « Dans le ventre des peuples. » Relations, no 790, mai-juin 2017, p. 29–30. .
Nature, spiritualité et oralité
La connexion profonde des Innuat avec la nature et la spiritualité, portée par une transmission orale de savoirs millénaires, est maintes fois mentionnée et décrite avec précision. Les trois éléments, présentés comme un tout, caractérisent les visions du monde des Premiers Peuples, dont la nation innue. Ainsi, si Joséphine Bacon s’émerveille de la grandeur du Nutshimit, elle fait également référence aux croyances des personnes aînées, explorant la relation entre humain et nature, entre sacré et profane (pages 50-51).
Ressources
Pour aller plus loin dans la rencontre avec l’autrice :
O’Bomsawin, Kim, Je m’appelle humain, Montréal, Maison 4:3 / Les Alchimistes / Women Make Movies, 2020.
Ce film suit Joséphine Bacon à travers la toundra et les rues de Montréal avec sensibilité et humilité. (Prix Gémeaux 2021 de la meilleure émission ou série documentaire).
Pour explorer la langue des Innuat :
Université Carleton et al., « Innu-aimun. Ressources de langue », https://www.innu-aimun.ca/ (2 juin 2022).
Ce site web offre une variété de ressources permettant de s’initier à l’innu-aimun.
Pour se repérer sur les territoires des nations autochtones :
Native Land Digital, « Carte interactive », https://native-land.ca/?lang=fr (2023).
Fruit du travail d’un organisme dirigé par des personnes des Premiers Peuples, cette carte interactive permet de se situer plus justement sur les territoires autochtones sur l’ensemble de la planète.
Pour découvrir une autre poète innue :
Mestokosho, Rita, Atiku utei. Le cœur du caribou, Montréal, Mémoire d’encrier, 2022.
La plume de cette poète innue convie à l’exploration du lien profond qui existe entre le caribou, la liberté et la guérison. Ce recueil a reçu le Prix littéraire du Gouverneur général en 2023.
Pour en apprendre davantage sur la culture innue :
Mailhot, José, Shushei au pays des Innus, Montréal, Mémoire d’encrier, 2021.
Dans ce livre-testament, l’anthropologue, amie et collaboratrice de Joséphine Bacon, livre un récit authentique sur la langue, les légendes et la culture des Innuat.
Glossaire
Nutshimit
Terme fréquemment utilisé dans l’œuvre de de Joséphine Bacon, il évoque l’expérience nomade de la vie dans la toundra et englobe à la fois un espace géographique et une perspective sur un monde : sans limites, sans murs, sans adresse, sans frontières. Dans le recueil, l’autrice y a recours pour nommer la terre des Innuat, tant dans les poèmes en innu-aimun qu’en français. 15 15 Ibid., p. 6.
Tshishennuat
Ce sont les aînées et les aînés innus qui portent une connaissance complexe et spécialisée de l’environnement, transmise oralement à travers les siècles. Dans le recueil, l’appellation est utilisée dans certains poèmes en innu-aimun pour désigner les personnes âgées. 16 16 Trudy Sable, The Ashkui Project: Linking western science and Innu environmental knowledge in creating a sustainable environment, Halifax, Saint-Mary’s University, 2005
Île de la Tortue
Plusieurs Premières Nations utilisent ce terme pour nommer l’Amérique du Nord 17 17 Amanda Robinson et Michelle Filice, « Île de la Tortue », L’Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/ile-de-la-tortue, (6 novembre 2018) . Selon divers mythes, la tortue incarnerait le respect de la Terre. Choisir les toponymes utilisés par les Premiers Peuples constitue une façon de lutter contre le colonialisme. Dans le guide, cette désignation réfère au continent nord-américain.
Premiers Peuples
Autre terme approprié pour désigner les peuples autochtones, souvent employé dans l’optique d’élargir les enjeux en présence à une autochtonie 18 18 Géoconfluences, « Autochtonie », Glossaire, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/autochtonie#:~:text=L’autochtonie%20d%C3%A9signe%2C%20en%20g%C3%A9ographie,colonisation%20par%20une%20puissance%20ext%C3%A9rieure, (2022). mondiale. Dans le guide, il est employé comme alternative au mot « Autochtone ». 19 19 Mikana, « Petit guide de terminologies en contexte autochtone »,https://www.mikana.ca/wp-content/uploads/2022/06/Petit-guide-de-terminologies-en-contexte-autochtone-FR-June-2022.pdf, (2022).
Allochtone
Terme pouvant être appliqué aux personnes dont les ancêtres ne sont pas originaires de la région où elles vivent. Dans certains contextes, l’utilisation du mot doit être nuancée afin que des personnes autochtones d’autres régions (ex. Amérique latine, Maghreb, Asie) ne s’y trouvent pas automatiquement associées. Dans le guide, il renvoie aux personnes non-Autochtones. 20 20 Ibid.
Crédits
L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Fondation Lucie et André Chagnon.
- Conseillère-experte en littérature : Lorrie Jean-Louis
- Consultante pédagogique : Marie Brodeur Gélinas
- Coordination : Selma Guessous
- Recherche et rédaction : Julie Gauthier
- Révision linguistique : Alice Rivard
Espace de la diversité
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Montréal, Québec, H2S 1H9
Tél. : 438-383-2433
www.espacedeladiversite.org
Livres connexes
- 1 Mémoire d’encrier, « Joséphine Bacon », Auteur·trice·s, https://memoiredencrier.com/josephine-bacon (2023).
- 2 Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009.
- 3 Joséphine Bacon, Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013.
- 4 Dominic Tardif et Catherine Legault, « Joséphine Bacon rend hommage à la terre de ses ancêtres », Le Devoir, https://www.ledevoir.com/lire/536167/josephine-bacon, (8 septembre 2018)
- 5 Nicolas Beauclair, « Littérature amérindienne, éthique et politique : la poétique décoloniale de Joséphine Bacon », Fredericton, Studies in Canadian Literature / Études en littérature canadienne, vol. XLIII, no 1, 2018, p. 128-145.
- 6 Marie-Ève Bradette, « Compte rendu de Myriam St-Gelais. Une histoire de la littérature innue, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2022 », Mens, vol.XXIII, no 1, automne 2022, p. 117-120.
- 7 Naithan Lagace et Niigaanwewidam James Sinclair, « Livre blanc de 1969 », L’Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/livre-blanc-de-1969, (10 juin 2020). Le Livre blanc de 1969, promu par Jean Chrétien et Pierre Elliott Trudeau, visait à assimiler les peuples autochtones du Canada en abolissant notamment la Loi sur les Indiens et les traités, suscitant de vives critiques au sein de ces nations.
- 8 An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse / Eukuan nin matshi-manitu innushkueu, Montréal, Mémoire d’encrier, 2019 (1976).
- 9 Naomi Fontaine, Kuessipan, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013.
- 10 Ibid.
- 11 Josianne Dulong-Savignac, « La parole résiliente des femmes autochtones », Jeu, vol. IV, no 165, décembre 2017, p. 31-35.
- 12 Ibid., p. 2.
- 13 Cécile Brochard, « Retours aux langues autochtones : perspectives et pratiques comparatistes engagées par les littératures en “langues rares” (Afrique-Amérique-Australie) », Fabula / Les colloques, avril 2020.
- 14 Natasha Kanapé Fontaine, « Dans le ventre des peuples. » Relations, no 790, mai-juin 2017, p. 29–30.
- 15 Ibid., p. 6.
- 16 Trudy Sable, The Ashkui Project: Linking western science and Innu environmental knowledge in creating a sustainable environment, Halifax, Saint-Mary’s University, 2005
- 17 Amanda Robinson et Michelle Filice, « Île de la Tortue », L’Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/ile-de-la-tortue, (6 novembre 2018)
- 18 Géoconfluences, « Autochtonie », Glossaire, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/autochtonie#:~:text=L’autochtonie%20d%C3%A9signe%2C%20en%20g%C3%A9ographie,colonisation%20par%20une%20puissance%20ext%C3%A9rieure, (2022).
- 19 Mikana, « Petit guide de terminologies en contexte autochtone »,https://www.mikana.ca/wp-content/uploads/2022/06/Petit-guide-de-terminologies-en-contexte-autochtone-FR-June-2022.pdf, (2022).
- 20 Ibid.