Publication
Biographie de l’auteur
Dimitri Nasrallah est né au Liban en 1977. Fuyant la guerre civile en 1982, sa famille a vécu au Koweït, en Grèce, à Dubaï, puis au Canada en 1988. C’est un membre très actif du milieu culturel anglo-montréalais : écrivain, traducteur, éditeur, professeur de création littéraire et DJ à ses heu-res. Son premier roman, Blackbodying (DC BOOKS, 2004), a remporté le prix McAuslan et a été finaliste du Grand Prix du livre de Montréal. Son second, Niko, a reçu le prix Hugh-MacLennan, et a été traduit en français. Nasrallah a depuis publié chez La Peuplade deux autres ro-mans traduits en français : Les Bleed (2018) et Hotline (2023), qui lui a valu de faire partie de la liste préliminaire du prestigieux prix Giller.
Extrait
« Bientôt, un agent de sécurité, qui les a épiés par l’une des nombreuses caméras de surveillance installées près des portes, traverse l’entrée de bitume et leur demande, en arabe, ce qu’ils veulent.
— Renouvellement de passeport, dit Antoine.
— Plus maintenant, répond l’agent.
— Quand alors ?
L’agent de sécurité a un dossier dans les mains, duquel il fait émerger une feuille blanche qu’il tend à Antoine. Il explique que les fonctionnaires de l’ambassade ont énoncé le souhait que chaque citoyen libanais se présentant ici reçoive l’information contenue dans cette lettre. Une fois sa besogne accomplie, il repart. Antoine lit le contenu de la lettre, pendant que Niko se pend à son bras, tire sur sa manche et veut savoir ce que ça dit.
— Ça dit que tant qu’il n’y a pas de gouvernement à la maison, il ne peut pas y avoir d’ambassade ici.
Il froisse la feuille de papier et la laisse tomber par terre. (…) Autour d’eux, cette journée de fin d’été s’est bien installée, et il voit les enfants du voisinage passer dans la rue sur leurs vélos, riant et criant avec bonheur dans leur propre langue, à propos de choses qu’il n’est pas censé comprendre, et à cet instant précis il ne ressent rien d’autre que du mépris pour eux, et un pincement intense lui serre la poitrine à la vue de ce qu’il ne peut considérer que comme une grave injustice. Qu’un garçon soit béni, entouré d’une famille, d’amis, qu’il ait un vélo, et qu’on l’attende à la maison avec un repas chaud, alors qu’un autre, lui en l’occurrence, soit maudit, obligé de prendre un avion vers l’autre bout du monde, là où on espère qu’il abandonne tout ce qu’il a appris et qu’il se glisse dans une nouvelle existence faite d’isolement avec une fausse mama et un faux baba, lui semble incroyablement arbitraire. » (Pages 93-94)
Résumé de l’œuvre
Niko est l’histoire d’un petit garçon de six ans, né pendant la guerre civile au Liban. Après la mort de sa mère dans un attentat meurtrier, Niko est forcé d’abandonner le pays avec son père : « C’est plus sécuritaire de dormir dans la rue n’importe où dans le monde entier que d’essayer de se construire un avenir au Liban », explique-t-on à Antoine, le baba du garçon. Après de longs mois d’errance d’un rivage à l’autre de la Méditerranée, père et fils se heurtent à plusieurs écueils. Antoine, à bout de ressources et d’espoir, doit se résigner à envoyer Niko au Canada, chez Yvonne, la sœur de sa défunte mère et son mari, Sami.
Cinq années passent. Le garçon éprouve de la difficulté à se tailler une place dans son nouveau monde, et même s’il est demeuré sans nouvelles, il continue d’espérer que son père viendra un jour le chercher. Niko se lancera donc dans une quête éperdue d’identité, à laquelle se mêleront les voix d’Antoine, d’Yvonne et de Sami. Car si le destin de chaque personnage est différent, leur statut commun d’exilés les ramène immanquablement à la même aspiration : celle de devenir quelqu’un, quelque part.
Situer l’œuvre
Niko est un roman qui explore de l’intérieur les réalités (pré-)migratoires et qui pourrait, à cet égard, se situer dans le giron de la « littérature migrante ».
En retraçant la trajectoire d’une famille d’exilés, l’œuvre couvre un vaste territoire géographique, historique et sociopolitique, qui nous plonge d’abord à Beyrouth, pendant la guerre civile de 1975-1990, puis qui nous conduit sur les routes d’Europe, en passant par l’île de Chypre, la Turquie et la Grèce. De portes fermées en portes fermées, leur situation devient intenable. Se rendant compte que l’avenir de Niko ne peut être assuré par leur dure vie de nomades, Antoine doit se résoudre à se séparer de son fils. Les deux personnages nous entraînent dès lors sur deux routes différentes : d’un côté, le garçon aggrave son déracinement en allant vivre chez sa tante et son oncle, dans un petit appartement de Montréal-Nord. En parallèle, Antoine poursuit son errance : il parcourt les mers et, après un arrêt en Algérie, dérive jusqu’en Amérique du Sud. La ville de Valparaiso, au Chili, signe la fin de sa trajectoire.
Ces parcours éclatés, qui s’échelonnent sur plus de douze ans, rendent compte de la complexité du phénomène migratoire. En effet, à travers le cheminement des personnages principaux (soit Niko, Antoine, Yvonne et Sami), les lectrices et les lecteurs se retrouvent face à un éventail de facettes cachées du vécu (im)migrant. D’une part, le point de vue du père lève le voile sur la précarité du statut d’apatride, d’autre part, le nouvel environnement de Niko déploie de l’intérieur les difficultés d’intégration vécues par les personnes immigrantes au Canada. En mettant au jour diverses réalités du phénomène migratoire, le roman s’impose ainsi comme un ouvrage brûlant d’actualité, un incontournable pour comprendre la situation d’exil que vivent plusieurs millions de personnes dans le monde aujourd’hui.
Thématiques – Enjeux
1. La guerre et ses traumatismes
Dès les premières pages, Niko nous plonge au cœur de la guerre civile libanaise. À travers le regard d’une famille beyrouthine, le récit nous permet de découvrir l’impact des événements sur le quotidien des individus et de la collectivité en temps de guerre. En effet, dans le roman, celle-ci n’est pas un simple décor, mais s’intègre à l’existence quotidienne des personnages pour l’ébranler et en transformer les perspectives. Antoine, le père de Niko, voit son monde s’effondrer après la mort de sa femme dans un attentat meurtrier, et il ne tarde pas à prendre la mer pour fuir les dangers de son pays. Le souvenir des événements et des difficultés rencontrées au cours de son exil lui font par contre rapidement prendre conscience « qu’il ne pourra pas échapper à [l’] influence [de la guerre], où qu’il soit » (p. 61).
Niko a, quant à lui, baigné depuis sa naissance dans un contexte de violence et de conflit, et s’il parvient parfois à s’en libérer grâce à l’imagination, il n’en demeure pas moins marqué par les événements : conséquence de la guerre, la perte de sa famille provoque chez lui une souffrance qui le poursuivra tout au long du récit. Force est de constater que, même à des kilomètres de leur pays natal, le conflit a laissé en chacun des personnages une empreinte indélébile : là-bas, ils ont assisté aux atrocités en direct, ailleurs, ils continuent de subir les contrecoups qui relèvent de ce traumatisme.
Activité : Compréhension du contexte sociohistorique de l’œuvre
Si le texte constitue une porte d’entrée privilégiée pour « toucher du doigt » la réalité de la guerre, quels repères faut-il prendre en compte pour mieux cerner le contexte historique de référence ? Pour familiariser les étudiantes et étudiants avec le cadre spatio-temporel du récit, invitez-les à se regrouper en équipe afin de compléter une petite recherche autour d’un aspect différent de la situation au Liban (les différentes communautés du pays, le déclenchement de la guerre, ses faits saillants, son bilan, etc.). Ils et elles présenteront par la suite les résultats de leurs recherches à la classe.
Activité : Discussion – L’impact de la guerre sur les personnages
Dans le roman, comment les personnages composent-ils avec le souvenir des violences subies en temps de guerre ? Afin de les amener à considérer l’impact de cette tragédie sur la psyché des protagonistes, amorcez une discussion en plénière dans laquelle il s’agit d’amener les étudiantes et étudiants à interpréter, à l’aide d’extraits, le point de vue et le discours de chacun des personnages sur les événements.
2. Des parcours migratoires difficiles
En s’inspirant d’un événement historique marquant, celui de l’exode causé par la guerre du Liban, Nasrallah dresse un portrait nuancé et lucide de l’expérience migratoire et des défis qui accompagnent le déplacement, le déracinement et l’adaptation à une nouvelle culture.
D’abord, l’odyssée dans laquelle s’embarquent les personnages apporte un éclairage sur les inégalités systémiques et la discrimination pouvant être vécues par les personnes migrantes durant leur trajectoire. En effet, s’ils nourrissent l’espoir de trouver un nouveau refuge, Antoine et Niko doivent apprendre à composer avec une réalité difficile, dans laquelle les frontières et les papiers d’identité représentent des obstacles majeurs. À cela s’ajoutent les préjugés à l’égard de leur statut d’étranger arabe : partout, ils sont accueillis avec méfiance et hostilité.
Commençant à comprendre que « le monde leur est désormais fermé » (p.60), Antoine se fait de plus en plus soucieux de l’avenir de son fils et finit par se résoudre à un ultime sacrifice : séparer leur chemin. Aussi le récit en vient-il à mettre en parallèle deux parcours distincts, ce qui ne manque pas de refléter la diversité des expériences de vie pouvant découler du processus migratoire.
D’un côté, le destin du père nous plonge dans les affres de l’exil, notamment celles qui incombent aux apatrides. Ayant pour seul bagage un passeport libanais qui n’est plus valide, Antoine doit en effet apprendre à composer avec un statut précaire, qui le prive de nationalité légale et qui l’amène à devoir lutter pour avoir accès à des droits élémentaires tels que l’emploi. Niko, quant à lui, a la chance de pouvoir construire une nouvelle vie avec sa tante et son oncle, mais bien que ces derniers l’aient accueilli à bras ouverts, le garçon éprouve de la difficulté à s’adapter à Montréal. Cela s’explique, d’une part, par les défis auxquels il est confronté en tant qu’étranger dans un nouveau pays et un nouveau foyer : à l’école, la barrière de la langue et de la culture rend difficile le fait de socialiser avec les enfants de son âge. D’un autre côté, le garçon refuse inconsciemment de s’intégrer dans ce pays qui n’est pas le sien et d’accepter l’autorité de parents qui ne sont pas les siens non plus. Il est nostalgique du passé et vit une intégration à reculons, couplée de gestes de rébellion, ralentie par l’espoir de retrouver son père et par les déceptions que lui procure la vie en Occident. Et s’il finit par comprendre que, pour espérer retrouver un point d’ancrage, il doit apprendre à se détacher de son ancienne vie, il ne sait pas s’il y parviendra : pour lui, l’exil s’avère être une épreuve terrible qui requiert un effort de tous les instants.
Activité : Des faits pour contrer les amalgames
Alors que les amalgames sur la migration ne cessent de se répandre dans le discours social, comment appréhender cette réalité dans les faits ? Afin d’introduire les étudiantes et étudiants à la complexité de ce phénomène, demandez-leur de collecter des informations factuelles :
- Définissez ce qu’est une personne « migrante », « déplacée », « réfugiée », « demandeuse d’asile » et « apatride ».
- Associez ces termes à des statistiques récentes et rigoureuses.
Activité : Obstacles et solutions potentielles
Les parcours d’Antoine et de Niko sont parsemés d’embûches. Proposez aux étudiantes et étudiants de nommer les obstacles – notamment administratifs – auxquels sont confrontés les personnages, puis de trouver pour chacun des problèmes une loi ou un principe international qui aurait dû prévaloir. Invitez-les à commenter ces éléments selon les contextes.
Esthétique de l’œuvre
Dimitri Nasrallah insuffle au roman une tonalité réaliste et tragique qui plonge les lectrices et lecteurs dans la dure réalité de la guerre et de l’exil. S’y glisse également une touche d’invraisemblance : l’infortune qui s’abat sur Antoine confère à l’intrigue une dimension quasi mythologique, qui rappelle la périlleuse errance du héros de L’Odyssée,Ulysse.
L’univers de l’auteur navigue entre la réalité et la fiction, entre l’intime et le politique. Comme il l’affirme en entrevue : « J’ai écrit ce livre pour dramatiser de grandes questions, avec des situations intimes. » 1 1 Librairie Mollat, « Dimitri Nasrallah – Niko », (2 novembre 2022). À travers une langue poétique, où se mêle parfois des mots et expressions issus de l’arabe (« Yallah », p.29 ; « Ya habibi », p.34), Nasrallah s’applique à donner chair aux chiffres et aux statistiques ainsi qu’à redonner un visage et une dignité à ces migrantes et migrants anonymes, dont on a pu faire si souvent une catégorie mal identifiée, associée à de nombreux préjugés.
La multiplicité des voix inscrites dans la narration du roman invite à explorer le réel migratoire dans toute sa complexité et sa pluralité. En outre, grâce à un jeu faisant alterner le point de vue de ses personnages, l’auteur donne accès à l’intériorité la plus profonde de chacun d’entre eux. Notons toutefois que si les monologues intérieurs ralentissent parfois le rythme du récit, celui-ci ne se perd pas dans des descriptions exhaustives : les événements se succèdent à un rythme haletant, à l’image de ces vies en perpétuel mouvement, ballottées au gré des aléas.
Ressources
- Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), « L’enseignement de la thématique des réfugiés », (2 novembre 2022)
- Magny, Hélène, Je pleure dans ma tête (Les traumas par les mots), Québec, ONF, 2022.
- Marineau, Michèle, La route de Chlifa, Montréal, Québec Amérique, coll. « Titan », 2006, 259 p.
- Saad, Marie et Nayla de Freige, Histoire illustrée du Liban,Paris, Hachette Antoine Jeunesse, 2022, 72 p.
Glossaire global
Apatride
Une personne ayant été privée de nationalité et d’accès aux droits élémentaires tel que l’éducation, les soins de santé et l’accessibilité à un emploi, que ce soit à cause de lacunes dans les lois sur la nationalité, de la dissolution d’États à la suite des changements de frontières ou encore de la discrimination fondée sur la race, l’appartenance ethnique, la religion, la langue ou le genre. 2 2 Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), « À propos de l’apatridie », (2 novembre 2022).
Personne exilée
Une personne condamnée à l’exil, ayant été expulsée ou obligée de vivre hors de sa patrie. Notons que, ce terme étant surtout employé pour marquer l’éloignement durable et forcé,
3
3 National Geographic, « Migrant, émigré, exilé : quelles différences ? », (2 novembre 2022).
il est parfois préféré à celui de migrant : sur le site de l’Institut Convergences Migrations, la linguiste Marie Veniard signe un article dans lequel elle souligne l’emploi préférentiel de ce mot par certaines associations ou collectifs qui accueillent des personnes migrantes. Elle interroge notamment une militante qui explique cette revendication par le fait « qu’on ne voit pas ce qu’il y a d’humain derrière le terme « migrant.»
4
4 Marie Veinard, « Le choix des mots : une forme de lutte à part entière », De facto, no 3, janvier 2019,
(2 novembre 2022).
Personne migrante
Une personne qui n’a aucun statut juridique et qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel elle n’est pas née. 5 5 Organisme International pour les migrations (OIM), « Termes clés de la migration », (2 novembre 2022) Notons que ce terme générique recouvre plusieurs catégories distinctes (qu’il s’agisse de personnes immigrantes, émigrantes, déplacées internes, apatrides, réfugiées, demandeuses d’asile, etc.).
Réfugié.e
Une personne qui a un statut juridique dans la mesure où une protection lui est accordée après une demande d’asile, cela en raison des risques de persécution encourus dans le pays d’origine. 6 6 Ibid.
Crédits
L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière, du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Fondation Lucie et André Chagnon.
- Coordination et révision littéraire : Lorrie Jean-Louis
- Consultante pédagogique : Marie Brodeur-Gélinas
- Coordination : Selma Guessous
- Recherche et rédaction : Malika Ferrache
- Révision linguistique : Alice Rivard
- Conception graphique et mise en page : Alejandra Núñez
Espace de la diversité
1260, rue Bélanger, bur. 201
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Tél. : 438-383-2433
www.espacedeladiversite.org
Livres connexes
- 1 Librairie Mollat, « Dimitri Nasrallah – Niko », (2 novembre 2022).
- 2 Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), « À propos de l’apatridie », (2 novembre 2022).
- 3 National Geographic, « Migrant, émigré, exilé : quelles différences ? », (2 novembre 2022).
- 4 Marie Veinard, « Le choix des mots : une forme de lutte à part entière », De facto, no 3, janvier 2019,
(2 novembre 2022). - 5 Organisme International pour les migrations (OIM), « Termes clés de la migration », (2 novembre 2022)
- 6 Ibid.