Mots-clés
Publication
Extrait
« […] l’absence de discussions sur la race et la suprématie blanche dans la plupart des courants de la philosophie morale/politique blanche pourrait donner à penser que la race et le racisme ont été marginaux dans l’histoire de l’Occident. Et cette croyance est renforcée par les conceptualisations dominantes des entités politiques elles-mêmes qui, que ce soit du point de vue dominant d’une démocratie libérale individualiste ou de la vision radicale marxiste minoritaire d’une société de classe, la dépeignent comme étant essentiellement non raciale. Ce n’est pas que les contractualistes dominants ne voient pas le tableau. (Il est effectivement impossible de théoriser sans voir une certaine image.) Ils voient plutôt un tableau actuel (tacite) qui, dans son exclusion ou sa marginalisation de la race et son récit typiquement aseptisé, blanchi et amnésique de l’impérialisme européen et de la colonisation, est profondément lacunaire et trompeur. » (p. 184)
Biographie de l’auteur
Charles W. Mills est un philosophe jamaïco-américain né à Londres en 1951. Professeur émérite d’université, il est reconnu pour ses contributions majeures à la philosophie sociale et politique, en particulier à la théorie politique critique centrée sur la classe, le genre et la race. Mills a publié plus d’une centaine d’articles et plusieurs livres dont From Class to Race (Rowman & Littlefield Publishers, 2003) et Black Rights / White Wrongs (Oxford University Press, 2017). Son premier livre The Racial Contract (Cornell University Press, 1997) est traduit pour la première fois en français par Aly Ndiaye, alias Webster, en 2023. Il a remporté le Gustavus Myers Outstanding Book Award lors de sa publication et le Prix Benjamin E. Lippincott en 2021. Charles W. Mills est décédé en septembre 2021 aux États-Unis. Ses écrits continuent d’inspirer les nouvelles générations dans la lutte pour l’égalité et la justice.
Résumé
Le contrat racial est un ouvrage majeur de la philosophie politique contemporaine qui remet la notion de race au centre des discours théoriques. Mills présente une révision formelle critique du concept philosophique de contrat social 1 1 Ce concept a été développé par plusieurs théoriciens. Mills met l’accent sur quatre d’entre eux : Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant. . Son objectif est d’expliquer la genèse de la société, la manière dont la société actuelle est structurée ainsi que la psychologie morale des gens sous l’angle racial. Mills explore les dynamiques complexes des structures de pouvoir historiquement ancrées dans le colonialisme européen, l’impérialisme et l’esclavage racial. Il démontre comment les idéologies racistes de supériorité européenne ont justifié ces systèmes de domination durant des siècles en créant un contrat racial implicite qui désavantage systématiquement les personnes non blanches au profit des personnes blanches. Il examine comment ce contrat racial opère dans les domaines de la justice, de la politique et de l’économie et perpétue les inégalités raciales. Selon Mills, démanteler ces structures racistes doit nécessairement passer d’abord par la reconnaissance de leur existence.
Situer l’œuvre
Mouvements pour la justice raciale
Le contrat racial a été publié aux États-Unis à la fin du XXe siècle, une période marquée par des débats sur les questions de race, de racisme et de justice sociale. Les années 1950 et 1960 ont vu l’émergence de mouvements pour les droits civiques qui ont abouti à des avancées législatives majeures pour l’égalité des droits raciaux, notamment la loi sur les droits civils de 1964. Cependant, des problèmes de discrimination et d’injustice raciales persistaient, ce qui a continué à alimenter les discussions sur la race. Alors que l’idéologie universaliste de la colorblindness – soit l’idée que l’égalité découlerait du fait de ne pas prêter attention aux différences raciales – est à son paroxysme, Mills publie plusieurs ouvrages qui contestent une telle interprétation. Le contrat racial présente une « philosophie née de la lutte » (p. 16) et s’inscrit directement dans ces mouvements sociaux pour l’égalité des droits civiques et la justice raciale :
« [j]e [Mills] ne serais pas dans le monde universitaire américain aujourd’hui si ce n’était pas des luttes des Noirs en ce pays. Ce livre est en partie un hommage à ces luttes et, plus généralement, une reconnaissance de la tradition internationale de résistance politique radicale noire qu’elles incarnent. » (p. 201)
Un monde façonné par le colonialisme et l’esclavage
Mills entre également en dialogue avec l’héritage des systèmes d’esclavage et de colonisation européenne mis en place aux XVe et XVIe siècles. Selon l’auteur, nous vivons dans un monde façonné depuis les 500 dernières années par la domination européenne et la consolidation progressive de la suprématie blanche à l’échelle mondiale. Dans le sillage des manifestations planétaires massives contre le racisme, déclenchées par la mort de George Floyd 2 2 Kristina Roth et Alli McCracken Jarrar, « Justice pour George Floyd : un an de mobilisation mondiale pour la vie des personnes noires et contre les violences policières », https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2021/05/justice-for-george-floyd-a-year-of-global-activism-for-black-lives-and-against-police-violence/ (novembre 2023). en 2020, les mouvements tels que Black Lives Matter 3 3 Audrey Célestine et Nicolas Martin-Breteau, « “Un mouvement, par un moment” : Black Lives Matter et la reconfiguration des luttes minoritaires à l’ère Obama », https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2016-2-page-15.htm (novembre 2023). aux États-Unis et d’autres initiatives anti-racistes dans le monde ont mis en lumière l’importance de comprendre et de combattre les structures de pouvoir qui maintiennent les inégalités raciales. Le contrat racial reste d’actualité et fournit des outils conceptuels pour analyser et discuter de ces enjeux.
Thématiques
ex massa fusce felis fringilla faucibus varius ante primis orci et posuere cubilia curae proin ultricies hendrerit ornare augue pharetra dapibus nullam sollicitudin euismod eget pretium vulputate urna arcu porttitor quam condimentum consequat tempus hac habitasse platea dictumst sagittis gravida eu commodo dui lectus vivamus libero vel maximus pellentesque efficitur class aptent taciti sociosqu ad litora torquent per conubia nostra inceptos himenaeos fermentum turpis donec magna porta enim curabitur odio rhoncus blandit potenti sodales accumsan congue neque duis bibendum laoreet elementum suscipit diam vehicula eros nam imperdiet sem ullamcorper dignissim risus aliquet habitant morbi tristique senectus netus fames nisl iaculis cras aenean lorem ipsum dolor sit amet consectetur adipiscing elit praesent interdum dictum mi non egestas nulla in lacus sed sapien placerat malesuada at erat etiam id velit finibus viverra maecenas mattis volutpat justo vitae vestibulum metus lobortis mauris luctus leo feugiat nibh tincidunt a integer facilisis lacinia ligula ac
eu commodo dui lectus vivamus libero vel maximus pellentesque efficitur class aptent taciti sociosqu ad litora torquent per conubia nostra inceptos himenaeos fermentum turpis donec magna porta enim curabitur odio
Esthétique de l’œuvre
Le contrat racial est un essai philosophique axé sur les questions de racisme et d’injustice raciale. Les idées sont présentées et articulées de manière structurée, dans une prose claire et précise. Mills offre une analyse méthodique du contrat racial, en présentant des arguments étayés par des preuves et des exemples qui visent « la vérité, l’objectivité, le réalisme » (p. 193). Pour mettre l’accent sur certaines idées, il présente quelques phrases en italique dans le texte. Bien que l’ouvrage présente un langage académique pour expliquer des concepts complexes, il est aussi conçu pour un grand public. Mills tente de vulgariser ses propos pour rendre les idées accessibles à un lectorat non philosophe (p. 200).
Le contrat racial revisite, révise et réactualise le concept de contrat. Il puise son inspiration de l’œuvre féministe de Carole Pateman, Le contrat sexuel. Mills remet en question des bases de la tradition philosophique occidentale, et entre donc également en dialogue avec les contractualistes. Il s’appuie sur le travail de philosophes tels que Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant pour examiner leur traitement (ou l’absence) de la notion de race dans leurs théories. Mills déconstruit les notions de justice, d’égalité et de liberté pour montrer comment elles sont influencées par le contrat racial. Le contrat racial serait la critique noire d’un univers discursif blanc, au ton ironique, « cool, branché » (p. 196) mais « avant tout savant » (p. 196). Il parle du point de vue de « ceux qui savent, ceux dont la simple présence dans les couleurs de la théorie blanche est une menace cognitive » (p. 196). Il vise à responsabiliser la philosophie analytique sur le plan sociohistorique en offrant un cadre conceptuel qui reconnaît les réalités politiques marquant l’expérience des personnes de couleur dans le monde contemporain.
Ressources
Ressources
Baillargeon, Stéphane, « Critique de la déraison raciste », Le Devoir, février 2023, https://www.ledevoir.com/lire/780038/critique-de-la-deraison-raciste (octobre 2023).
Emmanuel-Pierre, Jean, « Contrat social ou contrat de domination blanche ? » [entrevue avec Webster], https://www.youtube.com/watch?v=Gd3o0fvroho (octobre 2023).
Lim, Woojin, « ‘The Racial Contract’: Interview with Philosopher Charles W. Mills », Harvard Political Review, octobre 2020, https://harvardpolitics.com/interview-with-charles-w-mills/ (octobre 2023).
Pateman, Carole, Le contrat sexuel, Paris, La Découverte, 2010 [1988].
University of Michigan, « 2020 Tanner Lecture on Human Values – Theorizing Racial Justice – Charles W. Mills », https://www.youtube.com/watch?v=78wzAfQu9Mw (octobre 2023).
Glossaire
Blanchité
Le fait d’appartenir, de manière réelle ou supposée, à la catégorie sociale « Blanc » 4 4 Ligue des droits et libertés, « Blanchité ou blanchitude », https://liguedesdroits.ca/lexique/blanchite-ou-blanchitude/#:~:text=Le%20fait%20d’appartenir%2C%20de,e%20%C2%BB%20ou%20%C2%AB%20Arabe%20%C2%BB (octobre 2023). . Pour Mills, la blanchité est un ensemble de relations de pouvoir, un système politico-économique d’exclusion et de privilège différencié, voué à la suprématie blanche (p. 166). Elle se distingue de la blancheur qui renvoie à la classification phénotypique/raciale (la couleur de la peau).
Non-Blanc
« Qui n’est pas blanc, qui est d’origine non occidentale, en parlant d’une personne ou d’une ethnie 5 5 Dictionnaire de la langue française, « Non-blanc », https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/non-blanc (octobre 2023). . » Pour Mills, la « blancheur phénotypique et l’origine européenne n’ont pas toujours été suffisantes pour accéder à la pleine blanchité » (p. 132). Il existe des Européens « limites » (p. 129) : « les personnes blanches avec un point d’interrogation – les Irlandais, les Slaves, les Méditerranéens, […] les Juifs » (p. 129-130) ou des groupes non–blancs qui, selon les conjonctures, ont été acceptés dans le « club racial » (p. 132) blanc. Mills donne l’exemple des Japonais, qui ont été classés, aux fins de l’alliance des forces de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale, en tant que « Blancs honoraires » (p. 132) ou les Asiatiques aux États-Unis, considérés comme des « minorités modèles », des « Blancs en probation » (p. 132). Ainsi, les « conditions d’appartenance à la blanchité sont réécrites au fil du temps, avec des critères changeants prescrits par l’évolution du contrat racial » (p. 133).
Race
Le concept de « race » est une construction sociale et non une réalité, visant à faire une classification entre les soi-disant races humaines 6 6 Amnistie internationale, « Lexique pour l’antiraciste », https://amnistie.ca/lexique-pour-lantiraciste (octobre 2023). . Pour Mills, le contrat racial « construit » la race dans une « opposition élémentaire : Blanc contre non-Blanc » (p. 56). « La “race” est le dénominateur commun conceptuel qui, progressivement, en est venu à déterminer les statuts respectifs à travers le monde en matière de supériorité et d’infériorité, de privilège et de subordination. » (p. 56)
Sous-personne
Au Canada, avec la Loi de 1867 sur l’Amérique du Nord britannique, seul un homme était considéré comme une personne, les femmes ne pouvant donc pas prendre pleinement part à la vie politique ou aux affaires de l’État 7 7 Gouvernement du Canada, « Journée de l’affaire “personne” », https://femmes-egalite-genres.canada.ca/fr/commemorations-celebrations/mois-histoire-femmes/journee-affaire-personne.html (octobre 2023). . Dans Le contrat racial, les sous-personnes sont les personnes de couleur, ou de manière plus large, les non-Blancs. Ce sont « des entités humanoïdes qui, en raison de leur phénotype/généalogique/culture racial(e), ne sont pas pleinement humaines et se voient accorder un régime différent et inférieur de droits et libertés » (p. 102). Mills utilise le concept de sous-personne pour expliquer comment le système a pu justifier la domination, l’expropriation et l’exploitation d’individus.
Suprématie blanche
Idéologie fondée sur un système complexe de croyances sous-entendant la suprématie des valeurs culturelles et des normes des peuples d’origine européenne par rapport aux autres groupes humains 8 8 Ligue des droits et libertés, « Suprématie blanche ou domination blanche », https://liguedesdroits.ca/lexique/suprematie-blanche-ou-domination-blanche/#:~:text=Le%20racisme%20syst%C3%A9mique%E2%80%A6&text=Le%20terme%20%C2%AB%20supr%C3%A9matie%20blanche%20%C2%BB%20aide,aune%20de%20cet%20universel%20blanc (octobre 2023). . Pour Mills, la suprématie blanche est au racisme ce que le patriarcat est au sexisme : un « système politique qui, sans jamais être nommé, a fait du monde moderne ce qu’il est aujourd’hui » (p. 31).
Crédits
L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Fondation Lucie et André Chagnon.
- Conseillère-experte en littérature : Lorrie Jean-Louis
- Consultante pédagogique : Marie Brodeur Gélinas
- Coordination : Selma Guessous
- Recherche et rédaction : Sabrina Herrera-Roberge
- Révision linguistique : Monique Moisan
Espace de la diversité
1260, rue Bélanger, bur. 201
Montréal, Québec, H2S 1H9
Tél. : 438-383-2433
www.espacedeladiversite.org
Livres connexes
- 1 Ce concept a été développé par plusieurs théoriciens. Mills met l’accent sur quatre d’entre eux : Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant.
- 2 Kristina Roth et Alli McCracken Jarrar, « Justice pour George Floyd : un an de mobilisation mondiale pour la vie des personnes noires et contre les violences policières », https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2021/05/justice-for-george-floyd-a-year-of-global-activism-for-black-lives-and-against-police-violence/ (novembre 2023).
- 3 Audrey Célestine et Nicolas Martin-Breteau, « “Un mouvement, par un moment” : Black Lives Matter et la reconfiguration des luttes minoritaires à l’ère Obama », https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2016-2-page-15.htm (novembre 2023).
- 4 Ligue des droits et libertés, « Blanchité ou blanchitude », https://liguedesdroits.ca/lexique/blanchite-ou-blanchitude/#:~:text=Le%20fait%20d’appartenir%2C%20de,e%20%C2%BB%20ou%20%C2%AB%20Arabe%20%C2%BB (octobre 2023).
- 5 Dictionnaire de la langue française, « Non-blanc », https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/non-blanc (octobre 2023).
- 6 Amnistie internationale, « Lexique pour l’antiraciste », https://amnistie.ca/lexique-pour-lantiraciste (octobre 2023).
- 7 Gouvernement du Canada, « Journée de l’affaire “personne” », https://femmes-egalite-genres.canada.ca/fr/commemorations-celebrations/mois-histoire-femmes/journee-affaire-personne.html (octobre 2023).
- 8 Ligue des droits et libertés, « Suprématie blanche ou domination blanche », https://liguedesdroits.ca/lexique/suprematie-blanche-ou-domination-blanche/#:~:text=Le%20racisme%20syst%C3%A9mique%E2%80%A6&text=Le%20terme%20%C2%AB%20supr%C3%A9matie%20blanche%20%C2%BB%20aide,aune%20de%20cet%20universel%20blanc (octobre 2023).