Lorrie Jean-Louis

La femme cent couleurs

La femme cent couleurs 
La femme cent couleurs 

Publication

Montréal: Mémoire d’encrier, 2020
La femme cent couleurs 
ISBN: 9782897126889

Description : 104 pages 

Type de document : Papier, e-pub, PDF 

Niveau : collégial

Résumé de l’œuvre

« Je suis l’Amérique 

ma langue courte 

ma langue longue 

ma tête et mes pieds  

touchent la glace 

ma taille fine 

je suis l’Amérique  

j’ai la mémoire de la terre 

les plaies des eaux 

je suis blessure 

sans nom » (p.52) 

Biographie

Née à Montréal de parents haïtiens, Lorrie Jean-Louis est l’autrice de recueils de poésie, La femme cent couleurs (2020), Prix des libraires 2021, et Main d’œuvre (2023), parus chez Mémoire d’encrier. Elle publie en 2021 chez Édito, Philibert, le garçon qui pliait son cœur, un album jeunesse poétique illustré par Nahid Kazemi. Lorrie est détentrice de maîtrises en littérature et en bibliothéconomie. Elle fait partie du comité éditorial de la revue Liberté et a siégé aux conseils d’administration des Éditions du remue-ménage et du Salon du livre de Montréal. La poète est conseillère-experte en littérature à l’Espace de la diversité. 

Lorrie Jean-Louis crédits Mémoire d’encrier © Marjorie Guindon Photographe

Résumé

La femme cent couleurs, c’est une quête des origines, une traversée dans le temps et la mémoire. Un chant de l’Amérique qui révèle la violence du colonialisme dans le « monde nouveau » (p. 53) où sévissent racisme, esclavage et génocide. La femme cent couleurs est une voix qui émerge pour revendiquer le droit de chaque personne à la liberté et à l’autodétermination. Bercé par le rythme de la mer, le recueil se divise en trois courants, trois mouvements de résistance qui rappellent la relation fondamentale entre langue, territoire et identité. La femme cent couleurs, c’est une façon d’habiter le monde, au-delà de l’exil et de l’altérité, c’est découvrir un horizon plus large dans le ciel, le vent, la mer et les mots. 

Situer l’œuvre

L’Amérique 

Ce recueil de poésie se déploie dans plusieurs espaces, de l’Afrique à l’Amérique, de Dakar aux trottoirs du Brésil et de Montréal. Le territoire y est vivant et porte le legs du passé. En donnant une voix à l’Amérique, la poète raconte les blessures du continent qui porte les stigmates de la colonisation et de la traite transatlantique des personnes noires. Ce chant de l’Amérique est la « mémoire de la terre » (p. 52) qui demande à reconnaître les génocides et l’esclavage qui ont eu lieu sur son territoire.  

La colonisation  

La femme cent couleurs s’articule autour d’un moment historique chargé : la colonisation de l’Amérique. L’arrivée des colons européens au 15e siècle a eu un impact dévastateur sur le territoire ainsi que sur les populations autochtones, africaines et afrodescendantes. Le projet colonial visait l’appropriation et l’exploitation des ressources naturelles, mais il a aussi causé des ravages sur les populations locales. Les maladies européennes ont décimé les populations autochtones et des milliers d’entre eux ont été soumis à l’esclavage. Cela a aussi été le cas de milliers d’Africaines et d’Africains qui ont été capturés en Afrique et déportés en Amérique en tant qu’esclaves pour pallier le manque de main d’œuvre dans les colonies.  

Lorrie Jean-Louis, écrivaine noire de deuxième génération, dénonce à travers La femme cent couleurs la violence du colonialisme ainsi que son effacement de la mémoire collective. La poète restitue le passé dans une perspective décoloniale pour faire entendre les « cimetières de silence » (p.54) et les « sarcophages d’oubli » (p. 91) qui jalonnent notre histoire. Le poème devient alors un lieu de mémoire et de transmission, une manière de résister à l’oubli. 

Thématiques

Racisme 

La femme cent couleurs aborde l’exclusion, l’humiliation, le refus de reconnaissance et le racisme : « il arrive encore qu’on me prenne / pour une / esclave ». (p. 17) Ce recueil montre que l’héritage colonial, c’est-à-dire les éléments qui concourent au racisme, au mépris de l’autre et aux structures d’inégalité, ne relève pas de facteurs récents, mais de rapports de domination qui se sont structurés à travers le temps pour prendre de nouvelles formes. Le recueil invite non seulement à reconnaître l’héritage colonial raciste et les traces indélébiles qu’il a laissées dans les rapports sociaux, mais aussi à créer des ponts et à ouvrir le dialogue. 

Question 1 : Quels genres de traces l’héritage colonial raciste a-t-il laissées dans nos sociétés ?  

Activité : Tempête d’idées. Séparer la classe en équipe. Chaque équipe tente de définir le racisme et ses manifestations (paroles, comportements, traitements inégalitaires, représentation dans les médias, accès à l’emploi, etc.) en notant leurs réponses sur une feuille de papier. Ensuite, chaque groupe passe la feuille au suivant qui doit y ajouter un élément inédit, et ainsi de suite, jusqu’à ce que les feuilles soient passées par tous les groupes. Rassembler les réponses pour élaborer une définition commune. Finalement, comparer la définition du groupe à celle de la Ligue des droits et libertés dans sa brochure sur le racisme systémique, afin de vérifier que rien n’a été oublié et qu’aucun biais ne s’est infiltré dans la démarche du groupe. 

Question 2 : Comment La femme cent couleurs se définit-elle pour dépasser le racisme auquel elle est confrontée ?  

Activité de description – portrait de personnage. À partir d’une silhouette humaine vide sur une feuille de papier, tenter de représenter l’intériorité de la femme cent couleurs avec des extraits et des images. Qu’est-ce qui la fait souffrir ? Que dénonce-t-elle ? Que défend-elle ? Qui sont ses alliés ? Comment s’affirme-t-elle ? Comment exprime-t-elle son individualité, sa force, sa résilience ? 

La langue

La femme cent couleurs entretient un rapport complexe avec la langue puisqu’elle peut reproduire des rapports de pouvoir. La langue peut être un instrument de discrimination et d’exclusion en nommant, désignant et imposant une identité : « vous êtes-vous déjà appelées autrement ? / il a bien fallu / pour que vous soyez négresses / qu’ils soient blancs » (p. 81). Dans quelle langue parler lorsque le français et l’anglais représentent les langues « des maîtres » (p. 88), des colonisateurs ? C’est en poésie, en s’appropriant et en transformant la langue, que La femme cent couleurs dépasse ces contradictions, s’affirme et résiste. 

Question 1 : En quoi la langue peut-elle servir d’outil de domination ?  

Activité d’analyse comparative. Dans la préface de La femme cent couleurs, Lorrie Jean-Louis examine l’insulte de Michèle Lalonde et constate qu’elle ne lui serait jamais adressée. Afin de mieux comprendre, comparez le poème de la page 60 du recueil à celui de « Speak White » 1 1 Michèle Lalonde, « Speak white », Poèmes et chants de la résistance, 1968. 2 2 Possibilité de faire un lien avec le poème « Speak What  » de Marco Micone : Marco Micone, « Speak what », revue Jeu, 1989. .  Quels rapports de domination sont présentés ? Qui impliquent-ils ? Qui excluent-ils? Comment se manifestent-ils ? Qui sont les destinataires de ces poèmes ? 3 3 Pour aller plus loin : Emilie Nicolas, « Maîtres chez l’Autre », Liberté, no 326, hiver 2020, https://www.erudit.org/fr/revues/liberte/2020-n326-liberte04984/92107ac/ (25 juillet 2023).

Question 2 : Comment La femme cent couleurs réinvente-t-elle sa propre langue en poésie ?  

Activité de réponse créative. Repérez d’abord certaines figures de style dans le recueil et examinez comment elles disent le monde autrement, par exemple : (« ma terre : exil / mon nom : glaise / ma main : jasmin / mon sexe : vent » (p.26), « I said / je parle bleu /orange […] tous les tons sortent de mes lèvres » (p. 60), « un autre tournera sa langue / dans le sens des histoires » (p. 89), etc.) Comment ces figures de style créent-elles un espace pour appartenir et se définir différemment ? Ensuite, inspirez-vous-en pour répondre à la femme cent couleurs en rédigeant un poème. Que voudriez-vous lui dire ? Voudriez-vous l’appuyer, la remercier, rejoindre sa résistance, etc. ? Que vous inspire son univers poétique, sa lutte d’affirmation et d’autodétermination ?  

Esthétique de l’œuvre

Dire le feu sans brûler 

La femme cent couleurs prend racine dans l’urgence. Celle de donner une voix aux sans-voix, aux oubliés de l’histoire telles que les femmes et les personnes réduites à l’esclavage. Par contre, même si les poèmes disent la violence, ils ne se laissent jamais submerger par elle. Ils ne sombrent pas dans la colère, l’amertume ou l’abattement. La poète veille constamment à ne pas « se faire voler sa tendresse » (p. 8). De cette tension émerge une écriture minimaliste, résolue et chargée, similaire à celle de la poète innue Joséphine Bacon. Une écriture qui cultive surtout le rêve, la beauté et l’espoir de s’inscrire dans une continuité plus en douceur : « Toi / dans cet interstice / cette marge irrévérencieuse / d’aujourd’hui et d’hier / tu essaies d’exister ». (p.41) La poésie devient le lieu des possibles, où se manifeste le rêve de refaire, de réécrire et de réinventer l’Amérique.  

Transformer pour résister 

La femme cent couleurs s’approprie la langue afin qu’une nouvelle parole puisse émerger : « tu nommes les choses autrement […] tu appelles résilience / vivre » (p.41). La poète joue avec les mots. En transformant la langue, la femme cent couleurs se définit, et récupère son agentivité. Elle se réapproprie des termes qui ont été détournés de leur sens pour la déshumaniser. Face aux appellations « gens de couleurs » (p.8) ou « négresse » (p. 51), elle oppose une identité plurielle et insaisissable. L’écriture est alors un espace de résistance et d’affirmation. La femme cent couleurs revendique le droit de chaque personne à l’autodétermination, à une liberté totale et sans compromis : « CENT ou rien, SANS. Si on ne me les [couleurs] donne pas toutes, je n’en veux aucune. » (p. 8) Elle s’oppose ainsi à toutes formes d’oppression, d’asservissement ou d’exploitation. Dans cet esprit, le recueil s’inscrit en filiation avec l’autrice Toni Morrison qui aborde aussi les thématiques de la discrimination raciale et de la résistance.

Glossaire

Colonialisme

« Idéologie qui prône l’exploitation par une puissance politique de territoires et de personnes considérées comme « sous-développées 4 4 Human Rights, « Dossier racisme. Définitions », octobre 2022, https://www.humanrights.ch/fr/pfi/droits-humains/racisme/dossier/definitions (Juillet 2023) ». Le recueil dénonce la violence de la colonisation en Amérique et la souffrance qu’elle inflige aux peuples conquis. Utilisé comme un adjectif dans l’image du « costume colonial » (p. 36), le terme relève les rapports de domination qui se sont structurés à travers le temps pour prendre de nouvelles formes.

Autres définitions

Négresse

Nom attribué à une esclave noire lors de la période esclavagiste et coloniale 5 5 Daniel Derivois, « Pour lutter contre le racisme, mieux comprendre le mot « nègre » », The conversation, février 2023. https://theconversation.com/pour-lutter-contre-le-racisme-mieux-comprendre-le-mot-negre-199905 (Septembre 2023) et qui est encore parfois utilisé de manière discriminatoire. En soulignant la dimension coloniale du terme, la poète dévoile les dynamiques de langage qui reconduisent les rapports de pouvoir. Le terme est réapproprié dans le recueil afin de dépasser cette appellation stigmatisante, dans un processus d’affirmation et de reconstruction identitaire.  

Autres définitions

Racisme

« Système d’oppression qui favorise un groupe et défavorise les groupes qui ont été racisés 6 6 Comité racisme et exclusion sociale, Ligue des droits et libertés, « Le racisme systémique… Parlons-en ! », juillet 2017, https://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/ldl_brochure_racisme_final_20170905.pdf (25 juillet 2023) ». Le recueil insiste sur la dimension récente et historiquement systémique du racisme; La femme cent couleurs est confrontée au racisme, mais résiste en prenant la parole. 

Autres définitions

Ressources

Doyle, Laura et Bianca Annie Marcellin, « Une poétique de la résistance et de la joie. Un entretien avec Lorrie Jean-Louis, auteure de « La femme cent couleurs » », Le Délit, février 2021, https://www.delitfrancais.com/2021/02/16/une-poetique-de-la-resistance-et-de-la-joie/ (25 juillet 2023) 

Jean-Louis, Lorrie, « Colonialisme et gratitude », Liberté, https://revueliberte.ca/article/953/colonialisme-et-gratitude (3 octobre 2023) 

La Fabrique culturelle, « Lorrie Jean-Louis, lauréate du Prix du CALQ », https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/13269/lorrie-jean-louis-laureate-du-prix-du-calq-oeuvre-de-la-releve-a-montreal-2020 (25 juillet 2023) 

Mémoire d’encrier, « La femme cent couleurs, dans les mots de Lorrie Jean-Louis », https://www.youtube.com/watch?v=iaZ01UgQVZs&ab_channel=memoiredencrier (25 juillet 2023)  

Morrison, Toni, Tar Baby, New York, Alfred A. Knopf Inc, 1981 

Néméh-Nombré, Philippe, « La couleur de l’eau », Spirale, mai 2020, http://www.magazine-spirale.com/article-dune-publication/la-couleur-de-leau (25 juillet 2023) 

Crédits

L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Fondation Lucie et André Chagnon.

  • Consultante pédagogique : Marie Brodeur-Gélinas 
  • Coordination : Selma Guessous 
  • Recherche et rédaction : Sabrina Herrera et Bianca Marcelin 
  • Révision linguistique : Alice Rivard 
  • Conception graphique et mise en page : Alejandra Núñez 

Espace de la diversité 

1260, rue Bélanger, bur. 201  

Montréal, Québec, H2S 1H9 

Tél. : 438-383-2433 

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