Publication
Extrait
« TU N’AS PAS DE NOM
Dis-moi belle sauvagesse / As-tu hurlé avant de périr ?
Ou le silence a-t-il été ton dernier râle / Quand la rivière t’a accueillie ?
Ton corps fait d’amour pour honorer notre Terre / D’amour, de danses et de chants
Tes bras frêles pour combattre bravement / Pour tenir à ta vie de 6.1 / Là où tes territoires ne sont que poussière
Dans la poésie de tes derniers moments / Tu n’as même pas de nom
Le murmurer pour ramener ta mémoire / Fait de moi une dissidente sacrilège
Souviens-toi, belle enfant, du Registre / Tu n’as pas de nom
Ton œil noir brille d’une ultime lumière / Tes traits exquis et délicats / Ne vieilliront plus / Tes épitaphes seront murales / Car désormais, tu as un nom » (p. 18-19)
« LE SOLEIL ET ELLE
Un rayon la caresse timidement / Le Soleil se souvient de cette dame
Alors qu’elle arpentait le territoire / Il la guidait et la réchauffait
De sa lumière sur ses rides / Il la rend magnifique
Attentif, il apprend aussi
Les vieilles mains protègent / Culture et oralité
Le Soleil silencieux voit / Nukum qui esquisse un mocassin
Car elle marchera encore » (p. 57)
Biographie
Maya Cousineau Mollen est une Innue originaire de Ekuanitshit (Mingan). Elle est adoptée dans une famille québécoise choisie par sa mère biologique. Petite-fille de Jack Monoloy, elle écrit dès l’âge de quatorze ans. Elle signe des textes, notamment, dans Langues de notre terre1 1 1 Susan Ouridou (dir.), Languages Of Our Land / Langues de notre terre, Alberta, Banff Centre Press, 2014, 180 p. , Amun 2 2 Michel Jean (dir.), Amun. Nouvelles, Montréal, Stanké, 2016, 168 p. , Libérer la culotte 3 3 Geneviève, Morand et Natalie-Ann Roy, Libérer la culotte, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2021, 240 p. et Projet TERRE 4 4 Michel Therien et Nelson Charest, Projet Terre, Ottawa, Éditions David, 176 p. .
Son recueil, Bréviaire du matricule 082 5 5 Maya Cousineau Mollen, Bréviaire du matricule 082, Wendake, Éditions Hannenorak, 2019. , est colauréat aux prix Voix autochtones en 2020. Enfants du lichen remporte le prix de poésie du Gouverneur général en 2022.
Résumé
Dans Enfants du lichen, Maya Cousineau Mollen offre une lecture du territoire qui porte une mémoire vivante et pose un regard sur l’histoire coloniale teintant encore aujourd’hui le quotidien des Premiers Peuples, plus précisément, des Innus au Québec. Le recueil est divisé en deux sections : « Enfants du lichen » et « Une balle en réserve », qui portent une colère marquée par le calme, entre hommage aux ancêtres et à la vie d’autrefois. L’auteure dénonce un système responsable d’horreurs pour les siens et aborde des enjeux liés à la douloureuse et problématique réconciliation alors que les violences coloniales ont toujours lieu. Elle trouve refuge dans le territoire lorsqu’elle se remémore les pas des ancêtres qui, depuis toujours, la guident dans l’exploration de son identité à la fois multiple et singulière. L’auteure se présente comme le « pont fragile » (p.13) entre deux mondes.
Situer l’œuvre
La voix poétique de Maya Cousineau Mollen s’inscrit dans une effervescence des littératures des Premiers Peuples et, plus précisément, dans la tradition de la littérature innue. Les textes de la nation innue sont lus depuis plusieurs années déjà, notamment l’essai politique pionnier d’An Antane Kapesh, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse6 6 6 An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse / Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu, Montréal, Leméac, coll. « Dossiers », 1976, 238 p. , paru d’abord en 1976 et dont la dernière édition 7 7 Il est important de comprendre que depuis la publication de l’œuvre, il y a eu plusieurs éditions (notamment à Paris, à Chicoutimi par le Centre d’amitié autochtone du Saguenay et à Waterloo, en anglais). Chaque fois, des choix éditoriaux ont été faits. est publiée chez Mémoire d’encrier en 2019 8 8 An Antane Kapesh, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse, Montréal, Mémoire d’encrier, 2019, 216 p. . On compte également les textes de poésie comme ceux de Rita Mestokosho, Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine et plus récemment, Alexis Vollant 9 9 Parmi les nombreux titres publiés, en voici quelques-uns : Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuashitakama, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009, 141 p. ; Rita Mestokosho, Née de la pluie et de la terre, Paris, Éditions Bruno Doucet, 2014, 112 p. ; ou, plus récemment, Alexis Vollant, Nipinapunan, Wendake, Éditions Hannenorak, 2023, 104 p. Pour une liste exhaustive des publications par des auteurs et auteures de la nation innue, voir le site de Kwahiatonhk, organisme dont la mission est de promouvoir et de diffuser les littératures des Premiers Peuples et de développer une infrastructure littéraire : https://kwahiatonhk.com/. . La littérature innue est distincte du corpus littéraire québécois, chaque nation devant être considérée comme étant unique et ayant sa propre littérature.
Enfants du lichen amène le lectorat à mieux comprendre les violences de la colonisation. Cousineau Mollen propose des parallèles entre l’histoire du Québec et la colonisation des Premiers Peuples. Elle répond aussi, par la poésie, à certains discours qui reproduisent les violences alors qu’elle revisite des moments clés de l’histoire du Canada qui ont marqué de façon funèbre le destin des Premiers Peuples. Entre hommage à Joyce Echaquan 10 10 En septembre 2020, à l’hôpital de Joliette, Joyce Echaquan, Atikamekw de Manawan, lance une vidéo en direct de ses derniers moments alors que des employées tiennent des propos racistes à son égard et à celui des Premiers Peuples. et critique du statut autochtone, l’auteure met en mots de nombreuses injustices.
Thématiques – enjeux
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Esthétique de l’œuvre
Enfants du lichen de Maya Cousineau Mollen appartient non pas à un courant littéraire, mais à un corpus, celui de la littérature innue. Afin d’aborder la question en classe, il serait possible de parler d’une littérature qui prend racine dans les années 1970, mais qui commence à être « reconnue » dans les années 2000 et lue par un plus grand public québécois avec des auteures comme Joséphine Bacon et Naomi Fontaine 11 11 Lors de la parution de Kuessipan de Naomi Fontaine (Mémoire d’encrier, 114 p.) en 2011, les critiques sont unanimes : l’œuvre marque un tournant dans la littérature « québécoise ». (Mémoire d’encrier, https://memoiredencrier.com/kuessipan-format-poche-naomi-fontaine/.) .
Les textes puissants du recueil de poésie de Maya Cousineau Mollen proposent un renversement de la parole. L’auteure utilise une langue sans filtre, elle rend poétique la souffrance par l’opposition des sens : « Princesses violées / Fillettes aux âmes flétries / Femmes d’occasion louées / Au regard mort / Tu as voulu faire de moi un fantôme / Sans histoire et sans beauté / Pourtant je reste / Dans la magnificence. » (p. 16-17) Elle impose au lectorat de ne pas détourner le regard des mots par l’utilisation d’un vocabulaire connoté et qui renvoie à des événements douloureux de l’histoire des Premiers Peuples.
Les vers de l’auteure retracent une histoire, le rythme rapide des poèmes rappelle l’urgence de la situation, mais aussi la colère qui gronde. L’innu côtoie le français sans traduction et c’est au lectorat d’en cerner le sens chaque fois. Les éléments en innu renvoient, la plupart du temps, à des éléments de la culture innue 12 12 Voici quelques suggestions de traductions à partir du dictionnaire en ligne (Innu-aimum, « Dictionnaire », https://dictionnaire.innu-aimun.ca/Words): le « teueikan » (p. 22, 37 et 76) correspond au tambour, « Papakassiku » (p. 39) est le maître des caribous, « mushuau » (p. 50) correspondrait à la toundra et le « Nutshimit » (p. 22 et 66) est l’intérieur des terres. .
Ressources
Lectures connexes
- Cousineau Mollen, Maya, Bréviaire du matricule 082, Wendake, Éditions Hannenorak, 2019.
Premier recueil de poésie de l’auteure, c’est une première plongée dans son univers poétique. Elle y explore son rapport au territoire, mais d’un point de vue plus ancré dans le milieu urbain.
- Bacon, Joséphine, Kau minuat / Une fois de plus, Montréal, Mémoire d’encrier, 2023.
Recueil de la poétesse innue dans lequel elle propose une vision sage de la vie, de sa place comme aînée et du chemin qu’il lui reste à parcourir. C’est un regard sensible sur sa propre vie.
Entrevue avec l’auteure
- Signets au féminin, [Épisode spécial], Entrevue avec Maya Cousineau Mollen, poète innue, https://open.spotify.com/episode/4mrlMDZTD3m7YTjBsZR3uw, 19 juin 2023.
Un épisode de la baladodiffusion Signets au féminin dans lequel deux bibliothécaires de la Grande Bibliothèque, Lidia Merola et Marie-Ève Plamondon, s’entretiennent avec Maya Cousineau Mollen à propos de son processus d’écriture et de son dernier recueil, Enfants du lichen.
Ressource complémentaire
- Mikana, La Boîte à outils décoloniale de Mikana, 2022, https://www.mikana.ca/wp-content/uploads/2022/06/FR_Parcours_educatif_final_juin2022_V2.pdf.
Outil d’autoformation produit par Mikana, organisme de sensibilisation sur les réalités et les perspectives autochtones.
Glossaire global
Colonisation
Lorsqu’il est question de colonisation, c’est un renvoi à l’histoire coloniale qui découle de l’action de prendre possession d’un territoire, l’Île de la tortue 13 13 Expression qui désigne l’Amérique du Nord, lieu géographique retrouvé dans plusieurs légendes des Premiers Peuples. , dans le but de l’occuper et d’en exploiter les ressources.
Entre-deux
L’entre-deux identitaire est un état médian, un espace intermédiaire où il y a une dynamique entre deux identités, habituellement celle d’origine et celle du présent, et où les mouvements s’inscrivent dans une « identité [qui] tente de recoller ses morceaux 14 14 Daniel Sibony, Entre-deux. L’origine en partage, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1991, p. 20. ».
C’est l’idée qu’une personne navigue entre deux cultures, deux langues, deux identités.
Nutshimit
Le nutshimit est un terme couramment utilisé pour désigner le territoire, il se traduit en français comme étant : « dans le bois, en forêt, à l’intérieur des terres. 15 15 Dictionnaire innu-aimun, « Nutshimit », https://dictionnaire.innu-aimun.ca/Words (14 octobre 2023). »
C’est un lieu de ressourcement, où une personne innue se sent bien dans une perspective d’appartenance au territoire. C’est un endroit ancré dans la conception innue du monde.
Premiers Peuples
Terme utilisé pour désigner les Premières Nations, les Inuit et les Métis au Canada. Ce terme peut remplacer l’expression « Autochtones » qui est plus générique et qui désigne les Premiers Peuples d’Amériques du Nord et leurs descendants et descendantes. La connotation liée à l’utilisation de « Premiers Peuples » indique aussi une présence antérieure à la colonisation.
Crédits
L’Espace de la diversité reconnaît l’aide financière du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Fondation Lucie et André Chagnon.
- Conseillère-experte en littérature : Lorrie Jean-Louis
- Consultante pédagogique : Marie Brodeur Gélinas
- Coordination : Selma Guessous
- Recherche et rédaction : Eang-Nay Theam
- Révision linguistique : Alice Rivard
Espace de la diversité
1260, rue Bélanger, bur. 201
Montréal, Québec, H2S 1H9
Tél. : 438-383-2433
www.espacedeladiversite.org
Livres connexes
- 1 Susan Ouridou (dir.), Languages Of Our Land / Langues de notre terre, Alberta, Banff Centre Press, 2014, 180 p.
- 2 Michel Jean (dir.), Amun. Nouvelles, Montréal, Stanké, 2016, 168 p.
- 3 Geneviève, Morand et Natalie-Ann Roy, Libérer la culotte, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2021, 240 p.
- 4 Michel Therien et Nelson Charest, Projet Terre, Ottawa, Éditions David, 176 p.
- 5 Maya Cousineau Mollen, Bréviaire du matricule 082, Wendake, Éditions Hannenorak, 2019.
- 6 An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse / Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu, Montréal, Leméac, coll. « Dossiers », 1976, 238 p.
- 7 Il est important de comprendre que depuis la publication de l’œuvre, il y a eu plusieurs éditions (notamment à Paris, à Chicoutimi par le Centre d’amitié autochtone du Saguenay et à Waterloo, en anglais). Chaque fois, des choix éditoriaux ont été faits.
- 8 An Antane Kapesh, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse, Montréal, Mémoire d’encrier, 2019, 216 p.
- 9 Parmi les nombreux titres publiés, en voici quelques-uns : Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuashitakama, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009, 141 p. ; Rita Mestokosho, Née de la pluie et de la terre, Paris, Éditions Bruno Doucet, 2014, 112 p. ; ou, plus récemment, Alexis Vollant, Nipinapunan, Wendake, Éditions Hannenorak, 2023, 104 p. Pour une liste exhaustive des publications par des auteurs et auteures de la nation innue, voir le site de Kwahiatonhk, organisme dont la mission est de promouvoir et de diffuser les littératures des Premiers Peuples et de développer une infrastructure littéraire : https://kwahiatonhk.com/.
- 10 En septembre 2020, à l’hôpital de Joliette, Joyce Echaquan, Atikamekw de Manawan, lance une vidéo en direct de ses derniers moments alors que des employées tiennent des propos racistes à son égard et à celui des Premiers Peuples.
- 11 Lors de la parution de Kuessipan de Naomi Fontaine (Mémoire d’encrier, 114 p.) en 2011, les critiques sont unanimes : l’œuvre marque un tournant dans la littérature « québécoise ». (Mémoire d’encrier, https://memoiredencrier.com/kuessipan-format-poche-naomi-fontaine/.)
- 12 Voici quelques suggestions de traductions à partir du dictionnaire en ligne (Innu-aimum, « Dictionnaire », https://dictionnaire.innu-aimun.ca/Words): le « teueikan » (p. 22, 37 et 76) correspond au tambour, « Papakassiku » (p. 39) est le maître des caribous, « mushuau » (p. 50) correspondrait à la toundra et le « Nutshimit » (p. 22 et 66) est l’intérieur des terres.
- 13 Expression qui désigne l’Amérique du Nord, lieu géographique retrouvé dans plusieurs légendes des Premiers Peuples.
- 14 Daniel Sibony, Entre-deux. L’origine en partage, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1991, p. 20.
- 15 Dictionnaire innu-aimun, « Nutshimit », https://dictionnaire.innu-aimun.ca/Words (14 octobre 2023).